En 1973, lors de la guerre du Kippour, le prix du baril a été multiplié par quatre. Cette hausse constituait à la fois une sanction contre les Occidentaux accusés de soutenir Israël et une réaction à la dépréciation du dollar après l’abandon de la parité or, le 15 août 1971. Le deuxième choc pétrolier, occasionné par l’arrivée au pouvoir en Iran de l’ayatollah Khomeini, a entraîné une multiplication du prix du baril par trois. Ces deux chocs se sont accompagnés d’une forte augmentation de l’inflation. En France, le taux d’inflation a dépassé 10 % à plusieurs reprises. Face à cette hausse des prix, les gouvernements ont engagé des plans de relance en 1975 et en 1981 qui n’ont fait qu’accentuer la hausse des prix. En 2022, le scénario semble se répéter à quelques nuances près.
Par rapport à la période d’avant crise sanitaire, le prix du baril a augmenté de 50 % quand le prix du gaz a plus que doublé. Le baril de pétrole est néanmoins moins cher aujourd’hui qu’en 2014. La crise actuelle générée par la guerre en Ukraine touche donc plus le gaz du fait du retrait du marché européen du principal fournisseur. À la différence du pétrole, les importateurs ont moins de latitude pour changer de fournisseurs de gaz. La vague inflationniste actuelle est pour le moment moins forte que celles constatées lors des précédents chocs pétroliers. Néanmoins, depuis quelques mois, elle tend à s’en rapprocher. Par ailleurs, à la différence de 1973 et de 1979, les plans de relance ont été engagés avant la hausse des cours, dans le prolongement de la crise sanitaire. Par ailleurs, la sensibilité des opinions face à la hausse des prix est bien supérieure en 2022 que celle qui prévalait en 1973 ou en 1979.
En 1974 et surtout au début des années 1980, les banques centrales avaient réagi avec bien plus de force face à la montée des prix. Les taux d’intérêt sur les FED Funds avaient atteint plus de10 % en 1974 et plus de 15 % en 1981. Les taux repo deutsche mark s’étaient élevés alors à plus de 6 %. Le choc de 2022 ne ressemble pas totalement à ceux de 1973 et de 1979. Les économies étaient à l’époque moins mondialisées. Le poids des échanges y était plus faible. La vitesse de circulation de l’inflation est plus rapide aujourd’hui. Dans les années 1970, les pays occidentaux se caractérisaient par une forte indexation des salaires aux prix. Elle était de 0,7 aux États-Unis et de 1 dans la zone euro. En 2022, les taux respectifs sont de 0,6 et de 0,5. Les salaires augmentent moins vite que les prix et avec retard. Ce phénomène réduit le risque de spirale inflationniste. Néanmoins, dans de nombreux pays, dont la France, les revendications en faveur de la restauration d’une indexation sur les prix se multiplient.
La politique monétaire est moins rigoureuse en 2022 que dans les années 1970 ou 1980. En outre, à l’exception des États-Unis, les pays occidentaux ont tendance à augmenter les dépenses publiques à travers la mise en œuvre de mesures de soutien des ménages. Ces mesures favorisent le maintien d’une inflation élevée et entrent en contradiction avec les actions des banques centrales. Ces dernières, en revanche, sont jugées plus efficaces en 2022 que lors des deux précédents chocs pétroliers. Leur légitimité repose sur les résultats de leurs politiques qui, ces dernières années, ont réussi à empêcher l’implosion du système financier en 2007 ou en 2020. La BCE a également surmonté la crise des dettes souveraines entre 2011 et 2013. La crédibilité des banques centrales se matérialise par des anticipations à la baisse de l’inflation dans les prochains mois. Les banques centrales ont des gestions plus fines que dans les années 1980 pour traiter l’inflation. Elles recourent à de nouveaux outils (taux, rachats, ratios prudentiels, etc.). Elles suivent un plus grand nombre d’indicateurs que dans le passé (emploi, croissance, évolution de la masse monétaire, inflation sous-jacente, endettement, etc.).
En 2022, le marché des changes ne réagit pas de la même façon que lors des deux précédents chocs pétroliers. L’émergence de l’euro réduit les fluctuations au sein des pays occidentaux. Au début des années 80, le dollar s’était apprécié par rapport au franc ou à la lire italienne de 50 %, en lien avec la hausse des taux d’intérêt pratiquée au début du premier mandat de Ronald Reagan. Entre 2021 et 2022, l’euro n’a perdu que 15 %. Le dollar tient son rôle de valeur refuge, mais avec moins de force qu’auparavant. Cette moindre dépréciation limite l’inflation générée par les importations ; à l’inverse, elle limite aussi la taille du choc désinflationniste aux États-Unis.
Les économies occidentales sont moins dépendantes de l’énergie importée en 2022 qu’en 1973. La quantité d’énergie nécessaire pour obtenir un point de croissance a diminué. Par ailleurs, le recours au nucléaire, aux énergies renouvelables et, pour les États-Unis, au pétrole de schiste, ont réduit la dépendance aux importations. Entre 1982 et 2022, le poids de ces dernières rapportées au PIB a été divisé par deux (3 % contre 6 % du PIB). Pour les États-Unis, le choc inflationniste résulte seulement des effets de second tour de la hausse des prix de l’énergie à travers les biens importés. Cette inflation est également le produit des plans de relance décidés en 2021.
La bataille de l’inflation engagée depuis le début de l’année est différente de celle des deux précédents chocs pétroliers. La décision implicite de ne pas faire supporter des efforts importants aux populations complique la donne. Les autorités poursuivent ainsi deux objectifs contradictoires. Elles peuvent compter sur des marchés plus concurrentiels et sur une moindre indexation des salaires aux prix. Elles espèrent que l’épisode inflationniste s’arrêtera rapidement. Ces espoirs peuvent buter sur une montée des revendications salariales et sur l’importance des liquidités en circulation. Les effets des plans de relance, la pénurie de main-d’œuvre qui en résulte et l’importance de l’épargne des ménages constituent des réserves pour l’inflation qui pourrait remettre en cause les objectifs des banques centrales.
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