Durant la période des taux d’intérêt bas, les investisseurs se sont rabattus sur la dette des entreprises qui offraient des rendements supérieurs. Depuis le mois de février, le marché des « obligations corporate » est beaucoup moins attractif. Les obligations d’État sont jugées plus sûres et bénéficient de la hausse des taux. En outre, le risque de récession rend les titres d’entreprise plus risqués.
Des investisseurs ont commencé à réduire leur exposition aux titres d’entreprises. Le prix des obligations d’entreprise baisse et le taux des nouvelles émissions augmentent fortement. Ces derniers aux États-Unis se situent désormais entre 6 et 9 % pour les entreprises mal notées quand ils étaient inférieurs à 5 % il y a quelques mois. En zone euro, le taux moyen dépasse 7 % quand il était de 2,8 % en janvier 2022. Cette nouvelle donne financière intervient après une longue période d’augmentation d’endettement des entreprises. Depuis 2000, la dette des entreprises non financières est passée de 64 % du PIB à 81 % aux États-Unis et de 73 % à 110 % dans la zone euro. Au total, les entreprises publiques américaines, britanniques et de la zone euro doivent actuellement à leurs créanciers près de 19 000 milliards de dollars.
Malgré tout, l’endettement des entreprises occidentales demeure gérable. Les bénéfices avant intérêts et impôts des entreprises publiques américaines représentent 6,7 fois les intérêts dus sur leurs dettes, contre 3,6 fois en 2000. Dans la zone euro, ce ratio de couverture des intérêts est passé de 4,4 à 7 au cours de ce siècle. L’augmentation est réelle mais n’est pas en soi catastrophique. Les entreprises, en outre, se sont endettées à des taux bas. La proportion de crédits arrivant à échéance est faible. Seulement 16 % des « obligations corporate » de la zone euro arrivent à échéance avant la fin de 2024. Aux États-Unis, ce chiffre est de 8 %. Néanmoins, les entreprises, en particulier aux États-Unis, se sont de plus en plus endettées auprès de fonds d’investissement qui exigent des taux supérieurs à ceux du marché. Ce sont des entreprises à faible rentabilité qui ont eu recours au shadow banking, entreprises exposées en cas de retournement de la conjoncture.
Entreprises zombies
Une des menaces qui pèsent sur le marché corporate est en effet, la progression du nombre d’entreprises dites zombies, c’est-à-dire non compétitives, maintenues en vie par une dette bon marché par les aides publiques durant la pandémie. Selon l’hebdomadaire « The Economist », la proportion de ces entreprises serait exagérée et ne constituerait pas un réel danger. Moins de 500 entreprises cotées seraient potentiellement qualifiables de zombies aux États-Unis et en Europe. Ce nombre aurait augmenté de 155 depuis 2001. Elles représenteraient 5,6 % des entreprises cotées et porteraient moins de 2 % de la dette totale des entreprises. Le point de vigilance pour les experts financiers concerne non les entreprises dites zombies mais celles qui se situent juste au-dessus en termes de rentabilité, ces entreprises pouvant rapidement basculer du côté des entreprises en difficulté. Selon l’agence de notation, Fitch, 58 % du marché des obligations d’entreprises non financières est désormais noté « BBB ». Le rendement moyen de ces obligations a plus que doublé aux États-Unis au cours des 12 derniers mois, à 6,1 %. Contrairement aux obligations à rendement élevé, bon nombre d’entre elles viennent à échéance prochainement et devront être refinancées à des taux beaucoup plus élevés.
Alors que les bénéfices sont sous pression avec le ralentissement de la croissance et que les charges d’intérêt augmentent, ces entreprises seront tentées de réduire leurs coûts voire d’opter pour une attrition de leurs activités. Elles pourraient être amenées de supprimer des emplois et des investissements. En cas de baisse importante des bénéfices, les gestionnaires de portefeuille pourraient se dessaisir des titres de dettes provoquant une accélération de leur baisse et une augmentation des taux. Ce scénario catastrophe n’est pas en l’état actuel le plus probable. Son éventuelle réalisation serait liée à une forte récession de l’économie et à une montée de l’aversion aux risques.
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