Les gains de productivité ont disparu depuis 2019 dans la zone euro. Si cette situation se pérennisait, la zone euro serait marginalisée au sein de l’économie mondiale. Le déclin de la productivité en Europe est un phénomène difficile à appréhender. De nombreux facteurs, économiques, sociaux, sociaux, démographiques sont en jeu.
Les gains de productivité sont très faibles dans la zone euro depuis 2010 et y ont disparu depuis 2019. De 2000 à 2019, la productivité par tête est passée d’une croissance annuelle de 1 à moins de 0,5 %. La productivité par tête est inférieure de 1,4 point en 2022 par rapport à son niveau de 2019.
Avec une population active stagnante, voire déclinante et un recul de la productivité, le poids de la zone euro dans l’économie mondiale risque de décliner à grande vitesse. De 2022 à 2050, la population de 20 à 64 ans devrait, en effet, se contracter de 0,4 à 0,6 % par an. La situation est toute différente aux États-Unis qui continuent à engranger des gains de productivité et dont la population active poursuivra sa croissance. De 1990 à 2022, la productivité par tête a augmenté de plus de 80 % aux États-Unis, contre moins de 35 % en zone euro. De 1990 à 2050, la population de 20 à 64 ans augmentera de 40 % outre-Atlantique quand elle diminuera de 12 % au sien de la zone euro.
La disparition des gains de productivité est-elle un phénomène temporaire ou pérenne en Europe ? Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette spécificité européenne, la problématique du niveau des actifs, le changement de la structure de la demande, le rapport au progrès technique, le vieillissement de la population.
Les entreprises européennes éprouvent de plus en plus de difficultés à recruter, en particulier des techniciens et des ingénieurs. La faiblesse du secteur technologique qui enregistre le plus fort taux de croissance contribue à l’étiolement de la croissance européenne. Avec l’épidémie de covid, avec la transition énergétique, la demande en biens industriels et informatiques a augmenté. L’Europe est pour le moment relativement absente des marchés porteurs. Elle est dépendante des États-Unis pour les services liés aux technologies de l’information et de la communication ainsi que des pays émergents pour les batteries ou les microprocesseurs.
En Europe, la « grande démission » prend avant tout la forme d’une réduction du temps de travail et d’une diffusion du télétravail. Pour inciter des salariés à occuper des emplois pénibles, à horaires décalés, les entreprises sont contraintes de réduire le temps de travail. Depuis 2019, ce dernier s’est contracté de plus de 5 % en Europe quand il est resté stable aux États-Unis. De part et d’autre de l’Atlantique, l’écart de temps de travail est de 10 % en faveur des Américains.
Poursuite de la désindustrialisation
La baisse de la productivité en zone euro s’explique également par la poursuite de la désindustrialisation. L’emploi manufacturier ne représente plus que 13 % de l’emploi total en 2022, contre 17 % en 2002. Pour la France, ce ratio est de 9 % pour 2022. Malgré les discours au sujet de la relocalisation, le mouvement engagé depuis une quarantaine d’années ne s’inverse pas. Il faut plusieurs années avant que les investissements se traduisent en emplois et en production. Si aux États-Unis, la désindustrialisation est tout aussi importante, elle s’accompagne du développement du secteur de l’information et de la communication qui génère des emplois à forte valeur ajoutée.
L’Europe est handicapée par la faiblesse des dépenses en recherche et développement qui atteignent 2,4 % du PIB contre 3,5 % aux États-Unis. Le nombre réduit d’entreprises réellement européennes limite les coopérations scientifiques. Ces dernières années, les entreprises ont avant tout cherché des alliances en Asie ou en Amérique du Nord. Si les pays d’Europe du Nord comme la Suède, les Pays-Bas ou la Norvège, peuvent faire jeu égal en matière de compétences des actifs (étude PIAAC de l’OCDE), les États d’Europe du Sud, France comprise, sont désormais dans le bas du classement, distancés par les pays d’Asie comme le Japon ou la Corée du Sud. Les États-Unis figurent dans le milieu de ce classement (19e en 2016 quand la France est 21e), mais bénéficient de l’apport des chercheurs étrangers qui décident de s’y implanter.
Pour maintenir le niveau de vie des actifs, financer la transition énergétique, les retraites, la dépendance, etc., la zone euro se doit de renouer avec des gains de productivité conséquents. Cela suppose une amélioration du niveau de formation des jeunes et des actifs ainsi qu’une augmentation des dépenses consacrées à la recherche.
Crédit Photo : Oğuzhan KARACA – Pexels