Dans quel contexte politique, économique et alimentaire devront vivre et agir les entrepreneurs à la rentrée ? Cela dépend largement de l’évolution de la guerre en Ukraine. Or la crise gouvernementale que connaît l’Italie, depuis la chute du gouvernement Draghi le 21 juillet dernier, aura en l’occurrence un rôle primordial. Elle constitue d’ores et déjà un succès majeur pour Poutine, un danger majeur pour l’Europe démocratique.
Un ami journaliste italien nous a fait observer que deux des partis ayant obligé Mario Draghi à démissionner entretiennent des relations de soutien réciproque avec Moscou, relations passées sous silence une semaine durant par les commentateurs. Enfin, le quotidien La Stampa a mis les pieds dans le plat : le 28 mai, lors d’une « entrevue secrète », un fonctionnaire de l’ambassade russe a demandé à un envoyé de Salvini, le leader de la Ligue (extrême droite), si les ministres de son parti « avaient l’intention de démissionner ». On avait oublié que le quotidien Verita avait déjà, un mois plus tôt, révélé cette entrevue, peut-être grâce à une indiscrétion de services secrets. Question : Moscou avait-il demandé à ses amis de provoquer la chute du gouvernement italien ?
Un accord Moscou-Ligue renouvelé en mars
En tout cas, la Ligue a été à plusieurs reprises accusée d’avoir bénéficié de financements russes. Et, avec Forza Italia, le parti de Berlusconi, elle n’a cessé d’afficher, jusqu’à l’agression poutinienne en février dernier, son soutien au Kremlin. Notre ami florentin, le politologue Enrico Gotti, rappelle qu’un accord d’échanges et collaboration « paritaire et confidentiel » entre la Ligue et le parti de Poutine, « Russie unie », a été signé par Salvini en mars 2017 ; et que cet accord vient d’être automatiquement renouvelé en mars dernier, alors que la guerre fait rage en Ukraine ! On sait que de son côté, Berlusconi a embrassé des années durant son ami Poutine, auquel il a offert des centaines de cravates de luxe. Sans doute, a-t-il reçu, en contrepartie, bien plus que le lit à baldaquin qui a défrayé la chronique… Ses chaînes de télévision (Mediaset) accueillent les propagandistes italiens et russes de Poutine, elles viennent de permettre à son ministre Serguei Lavrov d’insinuer qu’Hitler était juif comme Zelensky pour prouver que ce dernier était donc nazi ! Berlusconi aurait téléphoné récemment à l’ambassadeur Razov qui lui aurait expliqué « la vérité » sur l’offensive russe, « nécessaire parce que l’Ukraine risquait attaquer la Russie ». Conversation ratifiant le conspirationisme moscovite, démentie depuis par Forza Italia…
Quoi qu’il en soit, c’est le parti « post-fasciste », Fratelli d’Italia (FDI), dirigé par Giorgia Meloni, qui, à présent, devance dans les sondages tous les autres partis avec près d’un quart des intentions de vote et un point de plus que le centre gauche (PD). Une alliance du FDI avec la Ligue et Forza Italia rassemblerait près de 49 % des électeurs (sondages du 4 août dernier). L’extrême droite serait majoritaire dans les deux chambres. Le centre gauche n’aurait, même avec l’appui incertain des populistes de gauche du M5S, que 44 % des voix. La Meloni, prétendument atlantiste, se voit déjà à l’automne présidente du conseil d’un gouvernement souverainiste d’extrême droite. Les démocrates italiens sont très inquiets, mais les conséquences seraient dramatiques pour nous tous. Le front européen contre l’agression poutinienne en Ukraine, encore intact malgré le double jeu d’Orban en Hongrie, serait alors brisé et l’Union européenne risquerait de se déliter.
La parabole des aveugles
Ce scénario n’est pas encore inévitable, parce que les leaders de l’extrême droite se chamaillent et que des résistances montent dans l’opinion italienne. A la veille de la chute de Draghi, la moitié des Italiens désiraient qu’il reste à la tête du gouvernement ; et peu après, 36 % le désignaient encore comme le président du conseil de leur choix, contre seulement 21 % pour la Meloni. Mais, comme en France, les électeurs prêts à voter pour les extrêmes droites ou gauches restent plus nombreux que les partisans de la démocratie. Celle-ci est donc en grand danger, même dans les pays fondateurs de l’Union européenne.
La situation italienne évoque, pour Enrico Gotti, la parabole des aveugles de Breughel, mais cette cécité a atteint tout l’Occident démocratique. Nous persistons à ne pas percevoir l’un des objectifs prioritaires de Poutine : la destruction de la démocratie et donc de l’Europe démocratique ; il n’a de cesse de la saper de l’intérieur, grâce à tous ses complices populo-fascistes. C’est qu’une Europe démocratique est incompatible avec la Russie de Poutine, successeur d’une URSS devenue, déjà dans ses dernières années, un « état kleptocratique », comme l’explique Philippe de Lara, spécialiste des totalitarismes : « il n’y a pas d’entente durable possible » avec un tel état « qui ment tout le temps ». Le bombardement d’Odessa au mépris de l’accord signé moins de 24 heures plus tôt devrait le démontrer même aux plus aveugles. Les élections italiennes du 26 septembre nous concernent donc tous.
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