L’inflation baissera-t-elle en 2023 ?

A Europe 1, dimanche 5 juin, le Ministre de l’Économie déclarait « anticiper un retour de l’inflation à un niveau raisonnable dès l’année prochaine ». Il estime néanmoins que « cette inflation raisonnable restera plus élevée que ce à quoi nous étions habitués avant ». Cet espoir est amplement partagé par les représentants des différents gouvernements européens et de la Banque centrale européenne. Le pari d’une décrue rapide justifie la mise en œuvre des politiques de soutien du pouvoir d’achat des ménages et la sortie prudente de la politique monétaire expansionniste. L’objectif est tout à la fois d’éviter l’enclenchement d’une spirale inflationniste et une récession.

Les gouvernements de la zone euro maintiennent un niveau élevé de transferts publics pour soutenir les ménages et les entreprises. Ils représentent 31 % du PIB début 2022, contre 29 % avant la crise sanitaire. Au paroxysme de cette crise, ils avaient atteint, en moyenne 34 % du PIB. Ces transferts atténuent la hausse des prix de l’énergie qui a été de 40 % depuis le début de l’année et celle des produits alimentaires qui a été de plus de 8 %. La résurgence de l’inflation qui dépasse désormais 8 % ne s’accompagne que d’un durcissement faible de la politique monétaire de la BCE. L’arrêt du Quantitative Easing est intervenu au début du 2e trimestre 2022 et la première hausse des taux directeurs n’est programmée qu’au début du 3e trimestre 2022. Les hausses devraient être modestes. La BCE estime que l’inflation est avant tout importée et qu’un relèvement des taux directeurs serait contre-productif en freinant la croissance qui est déjà atteinte par la dégradation du pouvoir d’achat des ménages et la diminution des marges des entreprises. Cette politique reçoit l’assentiment des investisseurs qui considèrent le retour de l’inflation entre 2 et 3 % d’ici un an probable. Le swaps d’inflation à un an pour 2023 est de 2,5 % (source Refinitiv, Prism).

Incertitudes

Si les autorités pensaient que l’inflation était pérenne, elles devraient relever les taux pour empêcher l’installation d’une spirale de hausse des prix. Par ailleurs, dans un tel contexte, le coût pour les finances publiques serait rapidement insoutenable. Pour éviter un emballement des dettes publiques, la Banque centrale européenne n’aurait pas d’autre solution que de relever fortement les taux.

Les investisseurs, les banques centrales, les gouvernements peuvent-ils se tromper sur l’inflation ? Les incertitudes sont nombreuses. La première est liée évidemment à l’évolution du cours du pétrole et du gaz. À la rentrée, l’embargo européen à l’encontre du pétrole russe pourrait produire une hausse du cours. Les distributeurs européens ont quelques semaines pour contracter avec de nouveaux fournisseurs et sécuriser les approvisionnements. L’OPEP a accru légèrement l’offre, mais il n’est pas certain que cela soit suffisant pour obtenir une détente sur le marché pétrolier. Plusieurs observateurs estiment que la Russie sera contrainte de vendre à prix cassé le pétrole qui n’aura pas été acheté par les Européens, ce qui par ricochet pèsera sur les cours. Les cours des produits agricoles pourraient rester élevés voire poursuivre leur hausse, surtout si les récoltes céréalières s’avéraient mauvaises. La sécheresse qui frappe plusieurs pays comme l’Inde ou la France pourrait avoir des effets négatifs sur les rendements. La deuxième incertitude est liée à l’évolution des salaires. S’ils augmentent plus vite que les prix, et donc que les gains de productivité, les banques centrales seront contraintes d’agir avec à la clef un risque élevé de récession. Aux États-Unis, ce scénario est pris au sérieux. Les demandes sociales se multiplient au sein de nombreux pays.

À ces facteurs conjoncturels s’ajoutent des facteurs structurels comme la transition énergétique et le vieillissement de la population, qui pourraient sur longue période conduire à une inflation plus forte que prévue.

La décarbonation de l’économie se traduit par la substitution d’énergies fossiles par des énergies renouvelables qui pour le moment ont une efficience plus faible. En raison du caractère aléatoire de la production des énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien, des équipements redondants doivent être réalisés ainsi que des infrastructures de stockage renchérissant leurs coûts de production. Le processus de décarbonation provoque une obsolescence d’équipements non amortis qui est également une source supplémentaire d’inflation. Les énergies renouvelables nécessitent le recours à des métaux rares dont les cours ne peuvent, dans ces conditions, que rester élevés.

De même, le vieillissement de la population conduit à une augmentation du nombre de retraités et à une réduction de celui des actifs. Il peut favoriser la hausse des salaires d’autant plus que les retraités sont des consommateurs importants de services à la personne. Ces activités sont peu propices aux gains de productivité, ce qui en fait des sources d’inflation. Les besoins en dépenses publiques seront importants tant en matière de retraite et de santé laissant présager d’une hausse continue de l’endettement. Or, l’inflation avant d’être un grippage entre l’offre et la demande est avant tout un phénomène monétaire. L’augmentation des bilans des banques centrales, ces dix dernières années, constitue un réservoir pour une inflation élevée.

Revoir ses plans

Pour le moment, les pouvoirs publics croient en encore sur un retour progressif à une inflation modérée d’ici 2023, mais depuis un an, ils ont été contraints de revoir à plusieurs reprises leurs prévisions en la matière. En cas de dérapage, les banques centrales pourraient durcir leur politique monétaire au cours du troisième trimestre afin d’éviter tout risque d’emballement, sachant que, jusqu’à présent du moins, elles ont privilégié une riposte graduée.

Crédit Photo : Can Stock Photo – AndreyPopov

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