Nous explorons une des nombreuses facettes des mérites de l’improvisation théâtrale et ce qu’elle nous apprend sur la coopétition.
Coopétition est un néologisme formé avec les mots « coopération » et « compétition ». Il désigne la coopération entre concurrents. Par exemple, les fabricants de téléphones portables se livrent une âpre bataille pour la conquête du marché et, en même temps, partagent des ressources, par exemple avec l’un fournissant des écrans à l’autre.
Ceci n’est d’abord possible que si, fondamentalement, notre adversaire ou concurrent n’est pas considéré comme un ennemi, du moins pas un ennemi sur tous les fronts.
Créer avec
Naturellement, on ne peut parler de coopération que si les acteurs ont la possibilité de faire autrement, mais choisissent néanmoins cette voie. Un contre-exemple est la guerre en Ukraine où les pays européens aimeraient bien pouvoir se passer de l’énergie russe.
Ainsi en improvisation où je joue contre mon adversaire, mais où je crée le spectacle avec lui. Il y a en quelque sorte une sorte d’intérêt supérieur, incarné par le public, au service duquel se mettent les acteurs au-delà de leur lutte.
Ainsi pouvons-nous de même considérer avec sérieux le fait de coopérer avec nos concurrents ou nos adversaires dans le domaine social ou économique. Le chemin est cependant étroit, entre le cynisme et l’entente malfaisante.
Personnellement, j’ai pour obsession de garder toujours un lien d’humanité avec ceux contre qui je suis en lutte ou en conflit : éviter de les transformer en monstres, au risque, je le crois, d’en devenir un moi-même.
C’est bien souvent, un point faible des militants qui défendent une cause, si fort que les opposants leur apparaissent comme le diable en personne. Ainsi des personnes racistes aux yeux des militants antiracistes — dont je ne saurais une seconde mettre en doute la justesse du combat. Ainsi des boomers aux yeux de certains jeunes, des « machos » aux yeux des féministes.
Ça n’empêche pas de cogner et même de cogner fort. Songez au sport : le boxeur ne va pas retenir ses coups au prétexte qu’il a de l’estime pour son adversaire. Ceci n’affaiblit pas votre cause ; ceci ne vous rend pas moins performant. Je crois même que c’est tout le contraire qui se produit. Dès lors que l’autre devient une personne à abattre, je perds ma lucidité et toutes les occasions de faire avancer mes propres pions avec sa coopération.
Affronter la réalité
J’ajouterais, en tant que thérapeute, que, bien souvent, nous ne haïssons si fort notre ennemi que parce qu’il incarne ce que nous refusons de reconnaître en nous-mêmes. Nous nous voulons des gens bien sous tous rapports ; c’est comme une infamie d’admettre que ça puisse ne pas être le cas. Plutôt alors le déni que la réalité. Mais chaque fois que nous voyons en l’autre, comme dans un miroir, ces « défauts » que nous nous efforçons d’ignorer, c’est comme s’il nous crachait l’insulte au visage.
Ce double mouvement est d’ailleurs la vie même, tant il s’observe de façon presque systématique dans le monde sauvage de la faune et de la flore.
Toutes choses que je pourrais donc résumer par : ne haïssez pas votre adversaire, trouvez le moyen de coopérer avec lui.
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