Il n’y a pas meilleur moyen pour être frustré que de se fixer des objectifs irréalistes ou de vouloir que notre environnement se conforme en tous points à nos désirs. Et pourtant, prisonniers de croyances fausses ou limitantes, certains d’entre nous s’y appliquent désespérément.
Vous connaissez sans doute la série Monk, diffusée dans les années 2000. Son héros est un ancien policier qui assiste les services de police dans la résolution de certaines affaires criminelles. Suite à un traumatisme (l’assassinat de sa femme), le comportement de Monk s’est figé en un perfectionnisme pathologique. Son attachement extrême aux détails et à l’ordre constitue à l’évidence un don qui lui permet de confondre les assassins.
Mais c’est également une malédiction qui lui pourrit la vie au quotidien, notamment au travers de troubles obsessionnels compulsifs et de phobies diverses. Le perfectionnisme de Monk peut vite devenir envahissant. Les autres doivent se plier à ses désirs parfois absurdes (notamment concernant le rangement ou la propreté). Quand ceux-ci refusent – et cela arrive fréquemment -, Monk peut insister lourdement pour que leurs comportements se plient à ses demandes parfois saugrenues. Son besoin de perfection bute contre le réel. Dans ce combat inégal, c’est le réel qui, sans surprise, l’emporte. Toute contrariété est souffrance, et les contrariétés sont nombreuses pour notre détective… Triste héros que Adrian Monk, à la fois comique et pathétique, redoutable et vulnérable.
La musturbation rend sourd
Le psychothérapeute américain Albert Ellis (1913 – 2007), un des plus grands noms de sa discipline, nomme musturbation (mot valise composé de must — devoir, il faut — et masturbation), ce trouble qui consiste à ne pas tolérer l’imperfection, à (se) poser des impératifs rigides dont l’insatisfaction viendra dégrader l’image que l’on a de soi, ainsi que sa relation à autrui et au monde. La musturbation rend ses adeptes sourds aux désirs et volontés (tout aussi légitimes) des autres. En cela, elle peut parfois se manifester par du harcèlement ou du dénigrement. Ce trouble se manifeste généralement par trois injonctions irréalistes que le sujet s’assigne, injonctions qui peuvent être schématisées ainsi :
- Je dois bien faire tout ce que je fais, sinon je suis nul.
- Les autres doivent se comporter comme je veux qu’ils se comportent, où alors ils sont condamnables.
- Mon environnement doit se conformer à ce que je veux, sinon ce monde est insupportable.
On mesure ici la puissance du biais de négativité (toujours lui !) qui vient s’immiscer dans ces raisonnements et en rendre les conclusions non seulement fausses, mais délétères. « La musturbation est un type de comportement infiniment plus pernicieux que la masturbation », écrit Alber Ellis. On ne sera donc pas surpris que le musturbateur soit en proie à l’anxiété et à des épisodes dépressifs. Mais comment y remédier ?
Agir sur les croyances
L’essentiel du travail psychothérapeutique pour Ellis va consister à agir sur les représentations de ses patients pour remplacer leur croyance en des désirs ou besoins absolus en « simples » souhaits. Passer de l’impératif au conditionnel : une transformation simple en théorie, mais plus ardue à opérer en pratique, car c’est bien la conception de la vie que le patient s’est forgée depuis longtemps qu’il faut ébranler, puis changer par une nouvelle représentation. Une nouvelle représentation dont le modèle est très ancien : cette sagesse stoïcienne tout entière contenue dans la formule célèbre de l’empereur Marc-Aurèle : « Puissé-je avoir la sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, le courage de changer les choses qui peuvent l’être et la sagesse d’en connaître la différence. »