Tout le monde est concerné par les biais cognitifs. Tout le monde en est victime. Mais vous sans doute moins que les autres.
Dans notre article précédent, nous concluions sur une intuition forte : chacun de nous n’est pas forcément le mieux placé pour répondre à la question « qui suis-je ? » Nous avons l’illusion de nous connaître, mais pour reprendre une expression utilisée par de nombreux psychothérapeutes « l’œil ne se voit pas ». Les jugements que nous posons sur nous-mêmes ne sont pas toujours très justes ; nous ne sommes pas lisibles à nous-mêmes.
On a beaucoup parlé d’ultracrépidarianisme[1] à l’occasion de la pandémie. En cette période anxiogène, des millions de personnes ont fait part sur les réseaux sociaux de leur avis sur la manière de combattre l’épidémie. Des millions d’infectiologues, épidémiologistes, virologues et vaccinologues autoproclamés se sont exprimés doctement sur Facebook ou tweeter, souvent en s’en prenant à l’argumentation d’experts qui ont construit depuis des décennies leur légitimité sur ces questions.
Mais il n’est pas aisé de se défaire de cette impression qui gonfle notre ego. Quoi de plus valorisant en effet que de se glisser dans le costume du sachant ? Quoi de plus enivrant que de se sentir plus malin que le commun des mortels, que les médias, que les experts ?
L’ignorance de l’ignorance : je ne sais pas que je ne sais pas
Les chercheurs en psychologie sociale ont mis en évidence ce biais de supériorité illusoire qui consiste à surestimer ses propres capacités en comparaison de celles des autres. Le suédois Ola Svenson a par exemple montré par une étude que des étudiants suédois et américains évaluaient leurs compétences en conduite et en sécurité comme bien au-dessus à celles des autres. Nous savons tous qu’il est dangereux d’écrire des SMS en conduisant ; pourtant, quand il nous arrive de le faire, nous sommes persuadés que ce risque s’applique moins (voire pas du tout) à nous. Le danger vient des autres, pas de soi évidemment. On peut aisément en déduire qu’il en va de même pour les dirigeants avec le leadership… Nous avons tendance à surestimer nos capacités dans l’art de diriger ; nous nous voyons sans doute plus beau que nous ne sommes en vérité.
Selon Dunning et Kruger, les personnes incompétentes sur un sujet ont tendance à surestimer leur niveau. Elles ne savent pas reconnaître les personnes réellement compétentes et n’ont pas conscience de leur propre niveau d’incompétences. Avec de la formation, ces personnes peuvent alors prendre conscience de leur degré d’incompétence antérieur.
Indispensable humilité
Dans le prolongement de cette idée, la psychologue Emily Pronin a découvert en 2002 que les sujets se considéraient généralement moins enclins aux biais cognitifs que les autres. Ces sujets savent pertinemment que tout le monde est traversé par de tels biais, mais ils sont convaincus que les autres le sont bien davantage qu’eux-mêmes. Ils estiment que leurs croyances sont justes et leurs références solides, alors que les individus qui ont des avis différents sont affectés par des biais et s’appuient sur des références peu fiables. Là encore, le biais de supériorité opère. C’est ce que Pronin appelle plus spécifiquement le biais de la tache aveugle[3].
Un conseil : si vous devez prendre une décision importante, contrebalancez votre surconfiance par un peu d’humilité. Comment ? Reconnaissez simplement votre perfectibilité en associant d’autres personnes à cette prise de décision. Vous limiterez ainsi le risque de vous tromper.
[1] Le fait de s’exprimer hors de son domaine de compétence, d’émettre un avis sur un sujet qu’on n maîtrise pas. On peut le rapprocher de l’effet Dunning-Kruger ou effet de surconfiance.
[2] Gérald Bronner, Déchéance de rationalité, Grasset, 2019.
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