Dans l’article précédent, nous avons développé le concept de « guerre juste », en montrant les avantages de se plier à des règles de conduite ou, plutôt, les inconvénients à ne pas le faire : si je suis injuste, mon propre camp peut me désavouer et j’aurai de la peine à vivre paisiblement avec mon adversaire, même vaincu, par la suite.
Cependant, et nous l’avons déjà esquissé, il n’est pas toujours facile d’être juste, surtout quand l’adversaire ne l’est pas. C’est une question qui revient régulièrement dans mes formations sur le conflit, alors que nous nous entraînons à des techniques de résolution paisible des conflits : que faire si l’adversaire ne joue pas le jeu ?
Une règle : payer chacun selon son dû
Tablons simplement que l’adversaire n’a aucune intention de jouer le jeu, mais qu’il est aussi, la plupart du temps, une personne raisonnable qui n’a ni envie ni intérêt à une escalade de la violence, pourvu que nous ne commencions pas les hostilités. Il n’empêche, il n’est pas toujours facile d’être juste ou, pour le dire autrement, d’agir en permanence selon une morale qui nous semble acceptable.
J’ai accompagné une entreprise dans une situation de négociation multiparties. Les personnes de la direction avec qui je travaillais me confiaient combien elles mettaient un point d’honneur à toujours agir de façon loyale, aidante, bienveillante. C’est-à-dire qu’elles se montraient toujours coopérantes, dès lors que les parties adverses — il y en avait plusieurs — faisaient de même. Nous n’avons pas mis longtemps à découvrir que l’entreprise se faisait marcher sur les pieds. De plus, les autres parties pouvaient laisser se développer les conflits entre elles, au préjudice de tous, sans crainte des réactions de mes clients : comme des bandes rivales qui n’auraient rien à craindre des autorités. La règle ici me semble simplement de payer chacun selon son dû : être loyal à chacun à la mesure de la loyauté ; juste à la mesure de sa justice ; bienveillant à la mesure de sa bienveillance.
Ne pas coopérer avec ceux qui ne coopèrent pas… jusqu’à ce qu’ils coopèrent de nouveau
Une belle illustration de ceci est le jeu de la coopération : les joueurs s’affrontent deux par deux. A chaque coup, chacun peut jouer blanc ou noir. S’ils jouent blanc tous les deux, ils ont trois points chacun. S’ils jouent noir tous les deux, ils ont un point chacun. Mais si l’un joue noir et l’autre blanc, le premier a cinq points et le second zéro. Sur un coup, la trahison (ou, disons, jouer de manière non coopérative) rapporte potentiellement plus. Un mathématicien, Anatol Rapoport a montré qu’il existe une stratégie gagnante, que cette stratégie reste gagnante même si elle est connue de tous et même si plusieurs personnes l’appliquent. Cette stratégie est la suivante : je joue blanc a priori. Si quelqu’un joue noir contre moi à un moment donné, je joue systématiquement noir contre lui jusqu’à ce qu’il joue blanc. Auquel cas, je me remets à jouer blanc. Autrement dit : je suis juste et loyal avec mes adversaires et je cesse de l’être s’ils ne le sont pas. Je persiste tant qu’ils ne font pas un effort significatif.
A bon entendeur…
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