Le rire et les débordements d’affection sont des armes étonnamment efficaces quand survient un désaccord. L’équipe nationale de football espagnole en a fait les frais hier à Wembley.
Hier, le match Italie — Espagne de l’euro 2021 était riche en émotion. Je vous refais rapidement le match : après 90 minutes de domination espagnole, puis 30 minutes de prolongations, c’est l’épreuve des tirs au but qui a départagé les adversaires du jour et envoyé l’Italie en finale de la compétition.
Dans ce match, soulignons la qualité du jeu espagnole. Incontestablement, ce sont les joueurs de la Roja qui se sont montrés les plus habiles balle aux pieds. On s’attendait à des Italiens plus mordants ; ils ont été bousculés par la technique des joueurs espagnols. En première mi-temps, une statistique indique que les Espagnols ont eu la possession de balle à hauteur de 70 %. Les patrons sur le terrain, c’était incontestablement eux.
Pourtant, en seconde mi-temps, coup de tonnerre : sur un contre, c’est l’Italie qui ouvre magistralement le score grâce à Chiesa. Peu de temps après, l’Espagne concrétisera sa domination en égalisant. Le score n’évoluera plus.
Épreuve fatidique des tirs au but. Épreuve souvent injuste. L’Espagne méritait-elle de gagner ? Chacun se fera son avis. Une équipe gagne et l’autre perd sur un coup du sort. Les tirs au but mettent les joueurs concernés sous pression. Ils sont un exercice de concentration, de maîtrise de soi. De grands joueurs sont passés à travers cette épreuve au cours de l’histoire.
Un moment a peut-être été déterminant dans l’issue du match. Ce moment a été capté par une caméra de télévision. Nous voyons les arbitres et les capitaines des deux équipes tirer au sort la partie qui choisira la cage de but où se déroulera l’épreuve. Nous assistons à un drôle de spectacle : Giorgio Chiellini complètement hilare, plaisantant, débordant d’affection pour son adversaire Jordi Alba. Ce dernier semble complètement décontenancé par l’attitude fantasque de l’Italien. Nous apprendrons plus tard que cet épisode a eu lieu sur fond de désaccord, Jordi Alba essayant de truquer l’issue du « toss ».
Soft power
Et si tout s’était joué à ce moment ? Après avoir dominé un adversaire sans le vaincre, voici cet adversaire étrangement détendu et amical… même quand survient un point de désaccord. Ce comportement ne peut être interprété autrement que comme de la confiance. Car qui oserait se comporter ainsi à ce moment du match, compte tenu de l’enjeu ? Un fou… ou quelqu’un de convaincu de sa force, sûr de sa victoire. Alors que soi-même on ne peut s’empêcher de douter, après 120 minutes de domination infructueuse…
La dialectique dominant – dominé s’est peut-être inversée à ce moment. Plutôt que de jouer les gros bras en fronçant les sourcils, en montrant un visage impassible, en contestant avec virulence, Chiellini a fait l’exact contraire en riant et en montrant exagérément son affection. il a su faire preuve d’intelligence situationnelle. Face à la tentative de tricherie du capitaine d’une équipe qui a montré sa supériorité 120 minutes durant, Chiellini a su quoi faire pour prendre élégamment l’ascendant psychologique sur son adversaire. Le destabilisateur s’est trouvé déstabilisé. La morale est sauve.
Cette manifestation d’intelligence a consisté ici à prendre le contrepied de ce qui est ordinairement attendu. Le rire a été une arme redoutable, tout comme les manifestations très amicales du capitaine italien. C’est une technique bien connue. Vous redoutez un entretien avec quelqu’un qui vous est ouvertement hostile ? Témoignez-lui la plus délicate des déférences. Soyez des plus amical et ouvert. Complimentez. Soyez rempli d’attention à son égard, Cette stratégie se révèle souvent plus productive que l’acceptation du rapport de force qui provoque généralement une escalade dans la violence. Elle introduit le doute dans l’esprit de l’adversaire qui se trouve désarmé, parfois penaud. À défaut de remporter une victoire digne de celle de l’Italie sur l’Espagne, ce stratagème assez simple bien que contre-intuitif permet de pacifier des relations. Ce n’est déjà pas si mal.