Impôt mondial sur les bénéfices : des gagnants et des perdants ?

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© Can Stock Photo / ctjo

La mise en place d’un minimum d’imposition pour les bénéfices des sociétés multinationales n’a été rendue possible que par le changement de cap de la politique américaine. Au mois de février, la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, annonçait qu’il était temps de mettre fin au « nivellement par le bas » de l’impôt sur les sociétés. Les discussions qui étaient au point mort depuis deux ans au sein de l’OCDE ont alors repris.

La discussion entre les membres du G7 a porté sur la question de réaffectation des droits d’imposition vers les pays où se déroule l’activité économique, plutôt que vers ceux où les entreprises choisissent de comptabiliser leurs bénéfices. Le sujet n’a donc pas été celui de la fixation d’un taux d’imposition global minimum. Ce changement de l’enjeu de la discussion a permis aux négociateurs d’accepter l’idée d’un taux minimum d’au moins 15 % avec une redistribution des droits d’imposition afin de garantir une plus grande part des droits d’imposition aux pays où les entreprises réalisent une part de leurs bénéfices. Ils ont également souhaité ne pas centrer les débats sur la taxation des géants du numérique, ces derniers étant principalement américains. Les Européens ont par ailleurs promis de démanteler leurs taxes protectionnistes contre les entreprises du digital. L’accord intervenu au niveau du G7 devra être approuvé par le G20 qui comprend des pays comme la Chine, la Russie, l’Inde ou le Brésil pouvant avoir quelques réticences à accepter un diktat occidental. Si au mois de juillet, le G20 validait cet accord, ce dernier pourrait s’imposer dans les faits à plus de 120 États.

Les gagnants de cet accord sont les grandes nations dans lesquelles les multinationales réalisent des chiffres d’affaires importants, mais peu de bénéfices imposables, grâce à une optimisation fiscale. Les pays en développement dans lesquels les entreprises mondiales ont des usines devraient également en bénéficier, mais pas autant qu’ils le pensent. Les perdants les plus évidents seront les paradis fiscaux et les États ayant abaissé sciemment le taux de leur impôt sur les sociétés pour attirer des sièges sociaux plus ou moins réels comme l’Irlande ou le Luxembourg. Une étude de 2018 de l’OCDE concluait que 40 % des bénéfices à l’étranger réalisés par les multinationales étaient artificiellement transférés vers des pays à faible fiscalité.

Les États paradis fiscaux purs comme les Bermudes, les îles Vierges britanniques ou les îles Caïmans ont tout à perdre de ce changement de cap fiscal. Bien qu’ils ne gagnent rien en revenus de l’impôt sur les sociétés, ils dépendent, à des degrés divers, des honoraires des filiales de grandes entreprises et d’une industrie artisanale de comptables, d’avocats et d’autres prestataires de services aux entreprises qui se sont installés sur place pour pouvoir opérer les montages fiscaux. Les services aux entreprises et financiers représentaient plus de 60 % des recettes publiques des îles Vierges en 2018. Dans le cadre des négociations internationales, les États paradis fiscaux ont peu de soutien, les gouvernements étant confrontés à des besoins de financement croissants et à une exigence de transparence plus forte de la part des opinions publiques.

Plaques tournantes

Les représentants des économies mieux intégrées comme l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg ou Chypre au sein de l’Union européenne et Singapour ou Hong Kong essaient de limiter l’ampleur de l’accord. Ils souhaitent notamment que le taux minimum soit le plus faible possible. Ces pays disposent de taux sur les bénéfices faibles doublés d’une législation autorisant leurs transferts vers des paradis fiscaux permettant in fine une absence quasi totale de taxation. Le Luxembourg serait ainsi devenu, selon le FMI, une plaque tournante pour les investissements directs étrangers, plus de 10 % du total mondial y transiteraient. L’Irlande grâce à son taux de 12,5 % a connu une croissance de son PIB très rapide au point de figurer parmi les États de l’Union européenne où le PIB par habitant est le plus élevé. Au-delà des montages fiscaux, de nombreuses entreprises ont choisi Dublin pour s’installer. L’Irlande est ainsi une porte d’entrée pour de nombreuses multinationales, dont Google. Ces implantations ont généré d’importants apports de richesses. L’impôt sur les sociétés représente 20 % des recettes fiscales du pays. Lors des discussions au sein du G7, les Irlandais ont fait pression sur les États-Unis pour qu’ils s’opposent à un transfert des droits d’imposition et à la fixation d’un taux supérieur à 12,5 %. L’Irlande estime que les petits États devraient être autorisés à utiliser la politique fiscale pour compenser les avantages d’échelle, de localisation et de ressources dont bénéficient les grands. Avec l’adoption de l’accord, le gouvernement irlandais a prévu une perte annuelle de recettes fiscales de 2 milliards d’euros, soit environ 2,4 % des recettes publiques. Contre l’accord du G7, l’Irlande peut compter sur le soutien, en Europe, de la Hongrie dont le taux sur les bénéfices est de 9 %, Chypre et Malte. En dehors de l’Union européenne, Singapour et la Suisse ont également indiqué que le taux de 15 %, à leurs yeux, était trop élevé.

Dans cette affaire, le Luxembourg et les Pays-Bas préfèrent jouer profil bas. Ils ont mal vécu les accusations de paradis fiscaux sorties dans la presse en 2014. Ils ont depuis durci leur législation et coopèrent avec les services fiscaux des pays de l’OCDE. Dans ce contexte, l’Irlande aura du mal à rejeter l’accord même si au sein de l’Union les sujets fiscaux exigent l’unanimité sachant que, quoi qu’il arrive, sur le Vieux Continent les États-Unis pourraient imposer ce nouveau cadre aux multinationales américaines fortement représentées en Irlande.

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