Depuis les années 1970, les économies des pays développés connaissent une baisse de leur productivité. Comment sortir de cette fameuse stagnation séculaire ? Par l’innovation bien sûr ! Qui exige de ne pas avoir peur de la destruction créatrice tout en contrôlant le « cheval fougueux » du capitalisme.
La seule recette connue pour améliorer la productivité du travail, c’est l’innovation. Or, celle-ci est nécessaire à toutes les étapes de la conception et de la fabrication d’un nouveau produit. Le Prix Nobel d’économie 1987 Robert Solow est crédité d’avoir modélisé à l’aide des mathématiques la manière dont l’augmentation des facteurs de production (le travail et le capital) se répercutait sur le niveau de la croissance. Mais Solow devait bien vite réaliser lui-même que son modèle ne rendait pas compte de l’essentiel : les augmentations de la productivité du travail qui ne dépendent pas de l’augmentation du côté du capital. Comment se fait-il qu’un employé produise davantage par heure de travail ? Réponse : l’innovation. Le rythme des innovations a rarement été aussi intense au cours du demi-siècle écoulé : l’ordinateur individuel, Internet, le smartphone, les imprimantes 3D, les robots… Et cependant depuis les années 1970, les économies des pays développés connaissent une nette baisse du rythme de progression de cette fameuse productivité. Nous voilà embourbés dans la « stagnation séculaire » de Larry Summers. Selon Robert Gordon, les grandes innovations, celles qui ont provoqué les gains de productivité spectaculaire d’autrefois, tels que le moteur à explosion, l’électricité, le téléphone, le tracteur sont derrière nous.
Hérisson, renard et cheval fougueux
William H. Janeway, un économiste spécialiste de l’économie de l’innovation compare les travaux respectifs sur ce sujet de l’économiste Philippe Aghion et de Dan Breznitz. Dans un livre, d’abord publié en français et coécrit avec Céline Antonin et Simon Bunel, Aghion revisite la notion de destruction créatrice. Dans Innovation in Real Places, Dan Breznitz, codirecteur du think tank Innovation Policy Lab à Toronto, compare les capacités d’innovation dans plusieurs régions du monde et tente d’en tirer des leçons générales. Reprenant à son compte la fameuse métaphore créée par Isaiah Berlin, Janeway écrit que Aghion est « un hérisson » et Breznitz un « renard ». Le renard suit toute sorte de pistes, il va d’une idée à l’autre, en quête de vérités fuyantes. Le hérisson se passionne pour une vérité unique, mais tellement englobante qu’elle s’applique à de nombreux objets. Aghion, Antonin et Bunel suivent, en effet, le modèle schumpeterien. D’après celui-ci, le capitalisme progresse en inventant de nouveaux procédés et de nouveaux produits qui déclassent les procédés et les produits précédents. Les nouvelles entreprises, celles qui innovent sur un marché, en chassent celles qui ne parviennent pas à s’adapter. L’innovation entraîne une « destruction créatrice » qui fait du capitalisme « un cheval fougueux », responsable de l’extraordinaire croissance dont a bénéficié l’humanité au cours des dernières décennies, mais qu’il faut savoir réguler.
A cet effet, les auteurs introduisent en effet, dans leur « triangle d’or », le rôle de l’Etat et celui de la société civile, face à celui de l’entreprise. Le principal problème, aux yeux d’Aghion, c’est d’éviter que les innovateurs ne s’approprient des rentes – c’est-à-dire des profits non justifiés par le montant des capitaux investis. Or, il est particulièrement facile aux producteurs de produits intermédiaires entrant dans la composition de biens essentiels d’acquérir une position de monopole. Et les intérêts bien établis disposent d’une capacité supérieure à celle des innovateurs nouveaux venus à se faire entendre du pouvoir politique. Il leur suffit de brandir la menace de licenciements. Alors que ceux-ci sont inévitables : le métier de maréchal-ferrant a disparu avec l’arrivée de l’automobile — qui a créé beaucoup plus d’emplois nouveaux… Il revient à l’Etat de briser les monopoles en faisant régner la concurrence et de casser les rentes en les taxant.
De l’idée à la production, les quatre étapes de la vie d’un produit novateur
Dan Breznitz est un expert reconnu des industries fondées sur l’innovation rapide et leur mondialisation, ainsi que pour ses recherches d’avant-garde sur les effets distributifs des politiques d’innovation. Dans Innovation in Real Places, il identifie les quatre étapes au cours desquelles un produit novateur peut accéder aux marchés mondiaux. Et il le fait en s’appuyant chaque fois sur l’étude d’un pays ou d’une région emblématique de cette étape.
- La première étape est celle où une invention géniale est transformée en une série d’innovations commercialisables. Cela se produit lorsque des investisseurs prêts à prendre de sérieux risques misent sur des entrepreneurs persuadés d’inventer l’avenir. Exemples typiques : Israël, la start-up nation et la Silicon Valley au sud de San Francisco.
- Deuxième étape : design, création de prototypes et engineering. C’est souvent le rôle des ODM, ou entreprises dites « productrices de concept d’origine » auxquelles on sous-traite ces fonctions. Taïwan est devenu spécialiste pour tout ce qui va permettre d’innover dans le domaine du numérique. Mais Breznitz cite aussi, en Italie, Alto Livenza où les concepteurs de meubles font concrétiser leurs idées et Brenta, devenue le hub du design européen de la chaussure. C’est la phase expérimentale.
- Troisième étape : autorisation de mise sur le marché et de la composante innovation proprement dite. C’est ce qui se passe sur le sol allemand dans l’industrie automobile. Et Breznitz explique au passage comment Taïwan est devenu la spécialiste mondiale des microprocesseurs.
- Quatrième étape : assemblage et production. Là aussi, l’innovation est déterminante. La région de Shenzhen en Chine a montré comment des chaînes immenses pouvaient s’adapter en un temps record au moindre changement du côté de la demande. Car la leçon, c’est que les gains de productivité sont possibles et nécessaires à tous les stades.
Crédits : France Culture