Raison d’être : gare aux pièges !

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© Can Stock Photo / fgnopporn

114 sociétés à mission sont à ce jour déjà recensées par l’observatoire des Sociétés à Mission. Profitant de la crise, de nombreux dirigeants repensent ainsi la place de l’entreprise dans la société. De plus en plus de comités exécutifs questionnent le sens, les responsabilités sociales et environnementales de leurs firmes. Première étape vers la qualité de société à mission, la rédaction de la raison d’être paraît simplissime. Retrouvons ici les écueils d’une raison d’être mal formulée !

De prime abord le lien entre raison d’être et stratégie d’innovation n’est pas évident. Pour nombreux, la raison d’être est la prolongation d’une politique RSE. Il s’agirait d’associer à une vision des responsabilités environnementales et sociales. Ainsi un constructeur d’automobile soucieux de ses impacts pourrait se laisser abuser par une raison d’être prometteuse telle qu’« être le constructeur d’automobiles qui neutralise ses émissions CO2 ». Ainsi rédigée, que l’ambition soit noble ou insuffisante, elle serait surtout une catastrophe. En effet, avec une telle raison d’être comment conserver une agilité stratégique, sortir au besoin du marché de l’automobile et investir un champ plus large tel que celui de la mobilité ?

Ce que peu de décideurs semblent comprendre c’est que la formulation d’une raison d’être est à la fois le big bang d’une stratégie d’innovation et à la fois un moyen d’articuler le passé et le devenir de l’entreprise. Pour Kevin Levillain, enseignant chercheur à Mines ParisTech et coconcepteur de la qualité de l’entreprise à mission, il est question de « modéliser la mission comme l’ensemble des propriétés des futures stratégies à concevoir ».

Ces formulations de raison d’être qui nient la dynamique collective qu’est l’entreprise

Un second piège consiste à travailler la raison d’être en vase clos. Alors que l’enjeu final est de repenser la place de l’entreprise au sein de son écosystème, nombreux sont les membres de comités exécutifs qui n’interrogent ni le middle management, ni les collaborateurs, ni les actionnaires, ni les partenaires sur la vision et le sens futur de l’entreprise. Dans ce cas, comment réellement comprendre les responsabilités, les tensions et les enjeux qui lient l’entreprise à son réseau ?

D’une bonne action, la démarche sous une forme top-to-Bottom devient vite frustrante et fastidieuse en invitant tous les étages de l’entreprise à exécuter plutôt qu’à proposer, à réfléchir en closed innovation plutôt qu’en open innovation. Comment dans ces conditions l’entreprise pourrait-elle trouver une place dans la société qui répond à des enjeux communs ?

La raison d’être affranchie d’un objectif commun de conception est vaine

Pour Chester Barnard, président de plusieurs firmes américaines et précurseur de la théorie des organisations, trois éléments sont vitaux pour ériger une organisation : un système d’activité, une capacité de communication et la volonté de contribuer à un objectif commun. Cet objectif commun se réalise par un effort collectif de conception et se concrétise en des produits, des services. L’entreprise ne peut concevoir seule, sans partenaire. Pensons ici à l’écosystème Apple. Ce « common purpose » est une forme de mission formulée afin d’engendrer l’adhésion autour d’un futur souhaitable à concevoir. Une raison d’être décorrélée des activités de conception est donc futile.

 Au XXIe siècle, dans un devenir de plus en plus incertain pour l’ensemble de parties prenantes d’un écosystème d’affaires, l’acte de gérer revient à inventer les futurs formes de l’action collective. Chaque mission oriente la conception au sein de l’écosystème. Chaque organisation doit servir de véhicule à une solidarité entre les parties prenantes qui y souscrivent et être responsable aussi bien socialement qu’environnementalement.


Tony Da Motta Cerveira, senior manager chez Square

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