Durant les Trente Glorieuses, l’achat d’une voiture neuve était un symbole de réussite sociale. L’heureux propriétaire pouvait ainsi affirmer son appartenance aux classes moyennes. Le salon de l’automobile rencontrait alors un large succès permettant aux participants de découvrir en avant-première les nouveaux modèles. Les grands constructeurs mettaient en avant des voitures destinées essentiellement aux classes moyennes.
La Peugeot 404 fut ainsi vendu à près de 3 millions de Français comme la Renault R12. Deux millions de Citroën DS et de Renault R16 furent également achetées des années 1960 jusqu’aux années 1980. Le parc de véhicules de voitures a constamment augmenté jusqu’en 2019 avant de connaître sa première baisse. Les achats de véhicules neufs ont été inférieurs, cette année, aux mises à la casse. Le nombre de véhicules s’élevait à 2 millions en 1950, 33 millions en 2000 et plus de 38 millions en 2020.
En 2020, 1,65 million de véhicules neufs ont été vendus en France et 5,6 millions ont fait l’objet d’une vente d’occasion. Les particuliers réalisent 43 % des achats sur le marché du neuf. La majorité des ventes sont effectuées au profit des loueurs (location de courte ou de longue durée, location avec option d’achat). Sur le marché de l’occasion, un peu plus de 60 % des opérations sont réalisées par des particuliers. Ces derniers ont ainsi acheté 750 000 voitures et 3,3 voitures d’occasion.
L’achat de voiture obéissait à un cycle. En début de carrière, les Français achetaient un véhicule d’occasion ou reprenaient une voiture qui appartenait à un membre âgé de la famille. La première voiture neuve intervenait souvent en milieu de carrière. Le choix se portait pour une berline afin de pouvoir partir avec les enfants en vacances. Avant la retraite, un achat plaisir pouvait intervenir avec un modèle plus luxueux ou sportif. Ce modèle a volé en éclat. L’âge de l’arrivée du premier enfant au sein des couples est plus tardif. Le nombre de plus en plus réduit des ventes de véhicules neufs aux particuliers sur le neuf s’explique également par le coût croissant des modèles dont le prix moyen a augmenté de 22 % depuis 2006. Les ménages, du fait de l’augmentation des dépenses préengagées, en premier lieu celles liées au logement disposent de marges de manœuvre de plus faibles que dans le passé pour acquérir une voiture neuve. Le coût croissant du logement et les difficultés d’insertion des jeunes actifs rendent plus difficile l’acquisition d’un véhicule surtout s’il est neuf. La métropolisation de la population rend la propriété d’un véhicule moins nécessaire.
Du plaisir à la nécessité
L’âge moyen français pour l’achat d’une voiture neuve est en recul depuis plus de dix ans. Il était de 55,3 ans en 2020, contre 43,7 ans en 1990. Si 20 % des Français ont entre 18 et 35 %, ces derniers représentent moins de 13 % des acheteurs de véhicules neufs. Pour la grande majorité des marques, l’acheteur moyen a plus de 60 ans. C’est le cas pour Citroën et Dacia. Seuls Mini et Seat peuvent se prévaloir d’avoir des clients ayant moins de 50 ans.
La crise des ventes de voitures neuves aux particuliers accompagne celle des classes moyennes. Entre 2008 et 2019, la proportion de Français déclarant appartenir à la classe moyenne est passée de 70 à 58 % (Observatoire des Français de Sociovision 2019, échantillon représentatif de 2 000 Français, âgés de 15 à 74 ans), tandis que celle se déclarant « modestes » a bondi de 23 à 38 %.
L’achat d’une voiture est de moins en moins un acte plaisir, mais un acte de nécessité. Dans les années 1960 ou 1970, l’acquisition d’un nouveau modèle était l’illustration de la réussite sociale. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La voiture, surtout au sein des grandes agglomérations, fait l’objet de critiques de plus en plus importantes. La pollution, les embouteillages et les frais associés à la possession de la voiture ont entraîné sa dévalorisation aux yeux de nombreux Français. Leur longévité accrue contribue également à rendre plus attractif le marché de l’occasion. L’âge moyen des voitures en circulation était de 10,2 ans au 1er janvier 2020. Il était de 6 ans en 1990.
Les ventes d’automobiles se segmentent de plus en plus, marchés du neuf et de l’occasion, voitures à bas prix et premium, voitures achetées par les particuliers et voitures achetées par des professionnels, voitures électriques, hybrides, essence ou diesel.
Les voitures diesel restent majoritaires au sein du parc automobile français, 58 %, mais leur part en baisse constante depuis 2015 (-5 points). Au niveau des achats de véhicules neufs, la part du diesel est passée de 72 % en 2012 à 30 % en 2020. Plus de 97 % du parc roulant est constitué de voitures à énergie thermique (essence et diesel). Les motorisations dites « alternatives » représentent 2,3 % du parc. L’année dernière, elles ont représenté 21,5 % des ventes.
L’augmentation du coût d’une voiture comprenant son achat et son entretien, la métropolisation du pays et la stagnation des salaires ont provoqué une polarisation du marché de l’automobile. Celui-ci est composé d’un nombre croissant de petites voitures et de voitures à bas coûts. Au sommet, la part des modèles premium augmente quand celle des modèles de gamme moyenne se contracte. Pour les particuliers, le modèle le plus vendu a été, en 2020, le Dacia Sandero (47 609 immatriculations) qui précédait la Peugeot 208 II (45 558) et la Peugeot 2008 II (36 889). La première voiture de gamme moyenne se classe 12e (Peugeot 3008 II). Les voitures haut de gamme sont majoritairement achetées par des sociétés de location (voitures de fonction pour les cadres et les indépendants). Cette polarisation témoigne des difficultés rencontrées par les classes moyennes et entraîne par ricochet celles des constructeurs généralistes que sont par exemple Renault et PSA. Le marché de l’occasion ne permet, en outre, plus de jouer le rôle de béquille de celui du neuf. Les acheteurs recherchent des voitures à bas prix et économiques. Les ventes des voitures de moins de deux ans sont en recul, à l’inverse de celles qui ont dépassé dix ans, dont la part augmente. Il y a encore quelques années, les constructeurs vendaient aux loueurs professionnels des voitures de gamme moyenne, Megane ou 308, qui se retrouvaient quelques mois plus tard sur le marché de l’occasion. Les loueurs qui sont en très grande fragilité sont, en raison de l’évolution de la demande et pour réduire leurs coûts, descendus en gamme. Ils acquièrent des petits modèles qui sont de plus en plus en provenance de marques à bas coûts.
Eco et premium
Les marques généralistes n’ont pas d’autres solutions que de proposer des modèles économiques, mais qui dégagent de faibles marges ou de se repositionner sur le haut de gamme. Renault entend ainsi miser sur Dacia d’un côté et sur Alpine de l’autre. Par ailleurs, le constructeur de Boulogne Billancourt entend réaliser le virage du tout électrique le plus rapidement possible. Stellantis, le groupe qui réunit PSA et Fiat a décidé d’accélérer la montée en gamme avec Lancia, DS, Alfa et Roméo ou Maserati. Peugeot et Opel sont positionnés en « access premium » qui se situe juste au-dessous du haut de gamme, sur le modèle Volkswagen. Le changement de gamme de production est un pari pour un constructeur. Renault est un des rares à avoir réussi à développer en quelques années une marque low-cost ayant rencontré un réel succès. Du côté de PSA, la marque DS éprouve des difficultés à trouver son public quand Citroën est en quête d’un positionnement. Autrefois généraliste, elle est de plus en plus cantonnée à jouer les seconds rôles au sein de la nouvelle alliance. Fiat connaît la même problématique. Son modèle Tipo peine à convaincre, car il est trop cher pour être low-cost et pas apprécié suffisamment pour être classé comme un modèle en access premium ou de gamme moyenne. D’autres constructeurs comme Ford font également face à de réels problèmes de positionnement.
Les gagnants de ces dernières années sur le marché français sont les marques premium qui sont privilégiées par les cadres de direction et les indépendants. Ainsi, les ventes de Mercedes et de BMW ont augmenté de manière significative en France, respectivement +36 % et +32 % en dix ans. Mercedes vend autant de voitures que Fiat en France et BMW qu’Opel.
La possession de la voiture sera-t-elle de nouveau un luxe ? Cela marquerait la fin du rêve de Henry Ford qui souhaitait que ses ouvriers puissent acheter la voiture qu’ils fabriquaient. Les grandes agglomérations sont de plus en plus le terrain des VTC, des taxis et des voitures haut de gamme comme les SUV des marques premium. Les contraintes environnementales rendent de plus en plus coûteuses la possession d’une voiture. À la fin de l’année 2021, la France comptera près de dix zones à faibles émissions (ZFE) correspondant aux grandes agglomérations françaises. À terme, plus de douze millions de voitures, soit plus du quart du parc automobile français, pourraient être interdites de circulation au sein de ces zones. La décarbonisation des moyens de transport pourrait réduire l’usage de la voiture et sa possession au sein des classes moyennes et modestes. Cela devrait conduire à une multiplication des offres de location.