« Le débat sur l’égalité de genre dans la sélection des leaders doit devenir un débat de compétences »

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Jacinda Ardern, Première Ministre néo-zélandaise – Crédits : New Zealand Government, Office of the Governor-General, CC BY 4.0

Même s’il existe une amélioration des stéréotypes liés au genre, de fortes disparités demeurent, notamment pour l’accès aux postes de leadership : dans les entreprises du CAC40, les femmes sont par exemple représentées à moins de 20 % dans les comités exécutifs. En dépit des changements sociétaux et organisationnels, les conceptions naïves sur ce qui fait le leadership sont en effet remarquablement stables, et continuent d’associer, à tort, le leadership à la masculinité. Aussi, la mise en lumière récente de certains role models féminins, comme Jacinda Ardern, ne doit pas laisser penser que la parité est atteinte : même si les femmes sont mieux représentées, les biais de genre persistent à cause de ceux qui pensent qu’ils ne sont pas une réalité.

Plutôt, ces avancées doivent déclencher de nouvelles actions, plus appropriées, afin d’accélérer les évolutions. Les entreprises doivent ainsi comprendre que les initiatives généralement recommandées pour promouvoir le leadership au féminin sont souvent contre-productives. D’une part, alors que les femmes sont encouragées à imiter les comportements des hommes promus, elles font face à une double contrainte : en les copiant, elles sont pénalisées pour ne pas se conformer aux attentes implicites liées au genre, et en se conformant à ces attentes, elles sont jugées moins compétentes en tant que leader potentiel. D’autre part, la discrimination positive, comme les quotas de représentation, apporte plus de tumultes que de solutions, notamment car ce type d’initiative laisse faussement penser que le groupe favorisé, ayant besoin d’aide, est moins compétent. Enfin, les formations qui visent à prendre conscience des biais contribuent souvent à les activer par effet rebond.

Nombre de politiques actuelles cherchent à panser en surface des problèmes profonds d’inégalités cumulées depuis des décennies, et forcent à croire que ce sont les femmes qui doivent changer. Cette supposition est toutefois basée sur quatre erreurs fondamentales : que (1) les femmes sont la source du problème (2) le leadership actuel est efficace (3) notre système d’évaluation et promotion est méritocratique (4) les êtres humains sont les mieux placés pour en évaluer d’autres.

Quatre actions sont ainsi nécessaires pour y remédier.

  1. Créer une synergie homme-femme : les initiatives actuelles traitent le symptôme et non la cause. On demande aux femmes de changer leurs comportements pour se conformer au modèle, et on les positionne comme source du problème. Lutter contre les inégalités n’est néanmoins pas de l’unique ressort des femmes : l’engagement masculin est clé. « L’égalité » porte ainsi bien son nom : les femmes sont la moitié, et les hommes sont l’autre moitié. Toutefois, est-il vraiment possible, pour les hommes, de s’engager dans la dissolution d’un système qui les positionne dûment et sans contrepartie au sommet de la chaîne alimentaire ? Sûrement compliqué au vu de leur engagement. Pour les convaincre, faut-il préciser que les systèmes permettant l’accession aux rôles de leadership ne privilégient pas tous les hommes : uniquement les hommes qui ne présentent pas les caractéristiques pour être de bons leaders. De nombreux hommes, très compétents, sont en conséquence lésés dans leur évolution, au même titre que les femmes. Pour eux, il est nécessaire de se joindre aux conversations, en synergie avec les femmes, pour promouvoir un leadership inclusif et efficace.
  2. Comprendre qui sont les bons leaders : seulement 22 % des professionnels pensent que les leaders de leur entreprise ont le bon état d’esprit pour prospérer dans l’économie digitale. Inviter les femmes à les imiter ne fera donc que perpétuer l’inefficacité perçue des leaders — certes, ils seront plus féminins. Il est donc primordial de prendre la mesure des réalités scientifiques qui montrent que les caractéristiques qui font l’émergence des leaders ne font pas leur performance. Le leadership est ainsi avant tout une question de pouvoir avec les collaborateurs, plutôt que sur les collaborateurs : c’est l’ouverture intellectuelle, la stabilité émotionnelle ou encore l’agréabilité (et non la masculinité), qui expliquent le mieux l’efficacité des leaders. A ce jeu-là, même si hommes et femmes sont globalement similaires, les femmes présentent un avantage, avec des scores très légèrement supérieurs sur les traits d’humilité, de sympathie ou d’altruisme. Les croyances automatiques liées au leadership ne font donc qu’accentuer le gap entre ce que devraient être les leaders, et ce qu’ils sont dans les entreprises.
  3. Baser les promotions sur le talent : les systèmes de promotion souffrent de plusieurs limites. Premièrement, leur subjectivité : lors des entretiens annuels, les femmes ont ainsi plus de probabilité de recevoir un feed-back subjectif et vague. Preuve de leur fragilité, le seul changement de l’échelle de scoring accroît le gap lié au genre dans les évaluations. Deuxièmement, car nous avons tendance à promouvoir deux types de personnes. D’une part, des personnes performantes sur leur poste : ce type de promotion assume toutefois à tort que les facteurs qui font l’efficacité d’une personne sur un poste donné, sont les mêmes que ceux qui feront sont efficacité dans un rôle de leader. D’autre part, des personnes performantes en entretien et qui font leur autopromotion : malheureusement, les individus narcissiques sont les plus à même de séduire en entretiens (et donc à progresser), et les femmes font moins d’autopromotion. Troisièmement, car il existe un male-to-male advantage : à performance égale, un homme évoluera plus rapidement quand il est managé par un autre homme, tandis qu’une femme connaîtra la même progression, quel que soit le genre de son manager. Finalement, la méritocratie dans le choix des leaders est surtout une illusion qui ne sert que ceux qu’elle avantage. Plutôt que de recruter les leaders sur la base du potentiel vendu dans des évaluations et des entretiens trompeurs, il est urgent de le faire en misant sur le potentiel réel.
  4. Utiliser l’intelligence artificielle : avec l’émergence de bribes de solutions allant du parcours de formation des recruteurs à d’autres pseudosciences, on croit être épargnés par les méandres de nos cerveaux et nos angles morts. Pourtant, la déviation du jugement rationnel est chose courante dans les RH : de nombreux biais, inhérents à la cognition humaine, impactent nos décisions. En résulte que l’intuition est un mythe en recrutement. Pour décider sur une base saine, avec objectivité, il apparaît ainsi nécessaire de faire appel à des outils d’aide, comme les tests psychométriques et l’intelligence articificielle. Pour peu que celle-ci soit correctement conçue, en utilisant les bonnes données et les modèles adéquats, elle permet de supprimer les biais dans les process de décisions. Les entreprises qui réussiront dans le futur, sont ainsi celles qui comprendront que ce sont les data — non biaisées, et pas l’intuition, qui détiennent les secrets du potentiel humain.

Finalement, le débat sur l’égalité de genre dans la sélection des leaders, plutôt qu’un affrontement homme-femme, doit devenir un débat de compétences. Intrinsèquement, ce qui fait la réussite d’un leader, ce n’est pas son genre, mais la pertinence de ses talents naturels (personnalité, motivations et façon de raisonner) : à l’instar de beaucoup d’hommes, beaucoup de femmes feront également de mauvais leaders. Changer notre prisme d’action et décision, en le recentrant sur la structure psychologique des individus, indépendamment du genre (ou d’autres caractéristiques de surface : origines ethniques, handicaps, etc.), permettra alors d’améliorer la compétence générale des leaders, et aussi qu’hommes et femmes soient représentés dans des proportions quasi identiques dans les rôles de leadership.


Noëlie Baron – Customer Success Leader @AssessFirst

Emeric Kubiak – Research Psychologist @AssessFirst

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