Le sexe, la drogue et le rock’n roll, sont, comme le maoïsme, une chose que l’on vous pardonne tant que vous êtes jeune et mignon. Mais gare à ne pas dépasser l’âge limite ! C’est ce dont attestent les adieux de Julie Burchill, l’une des stars des critiques rock britanniques, à la « Decadence Party ».
Julie Burchill, 61 ans aujourd’hui, a été l’une des éditorialistes vedettes de la presse britannique. Une carrière qui fait rêver : à 17 ans, en pleine vague punk, elle entre au New Musical Express, la Bible de la presse rock de l’époque. Dans les années 80, elle était, comme par hasard, à The Face – le mensuel le plus branché de la décennie. Dans les années 90, négligeant un peu le rock, elle est devenue éditorialiste dans le quotidien de gauche The Guardian, qu’elle a quitté en 2005 pour le quotidien de droite, The Times, où elle aurait doublé son salaire. Elle a été de toutes les fêtes, elle a commis tous les excès. Aujourd’hui, elle a fait le tour du cadran et aspire à une vie un peu rangée. Et elle quitte pour de bon la Decadence Party.
Cela fait cinq ans que j’ai été libérée sous caution de la Decadence Party. Et cela ne me manque pas.
Julie Burchill, UnHerd
Mais c’est quoi la décadence ? Liza Minnelli en porte-jarretelles et chapeau melon chantant Mein Herr dans Cabaret ? Ou Gatsby, sortant une à une ses chemises en soie pour impressionner Daisy ? A moins que ce ne soit le pornocrate Larry Flynt, sur sa chaise roulante en or, qui vient de mourir ?
A la fin du XIXe siècle, en France et en Angleterre, la littérature connut un mouvement qui se baptisait lui-même décadent, avec pour têtes de gondole Huysmans et Oscar Wilde. C’était une forme de paroxysme du dandysme qu’avait illustré Baudelaire. Une manière d’esthétiser l’hédonisme et le culte de soi et, en même temps, une forme de protestation contre la laideur et la trivialité du monde moderne.
Mais, selon Julie Burchill, c’est seulement avec le rock, que le « génie du décadentisme est réellement sorti de la bouteille ». Et David Bowie a été la rock star la plus décadente de toutes. On lui a passé bien des excès, notamment ses relations sexuelles avec des filles mineures. Peut-être parce qu’il avait l’air d’un zombie qui s’ennuie. « Jouer avec habileté, la carte décadente suffit à faire prendre en pitié les plus flagrantes canailles », écrit-elle.
La route des excès mène au palais de la sagesse. Mais vous ne savez jamais combien c’est assez, avant d’avoir su que c’était déjà plus qu’assez.
William Blake
Les décadents de notre époque ne recherchent pas la sagesse. Et c’est pourquoi beaucoup finissent au bord du gouffre. Prenez Marilyn Manson, actuellement accusé de violences et d’agressions sexuelles par plusieurs femmes. Si l’on en croit son autobiographie, The Long Hard Road Out of Hell, il faudrait tout lui pardonner, parce qu’il est si triste… Mais, souligne Burchill, lorsqu’on noue des relations sexuelles avec un sataniste proclamé, il ne faut pas s’attendre au paradis non plus…
Savoir quitter la scène
À propos de la décadence, une chose est sûre : lorsqu’on vieillit, il faut savoir quitter la scène. Sinon, on devient quelqu’un de stupide, d’ennuyeux et de potentiellement dangereux. Et de citer son ami, l’artiste plasticien Sebastian Horsley, qui prétendait trouver l’inspiration chez les prostituées et qui a fini sa vie de façon misérable.
Si vous savez à quel moment sortir du jeu, il n’y a rien de mal à avoir une jeunesse joyeusement décadente, selon Julie Burchill. Mais si on persiste et qu’on s’incruste dans la partie, on s’y détruit sans plus pouvoir s’en évader. Et on ressemble alors à ces rats de laboratoire qui courent à toute vitesse dans leur cloaque, vers l’échelon supérieur sans trouver la moindre satisfaction à l’expérience… Ainsi, la cocaïne – dont Julie Burchill a consommé, de son propre aveu, des quantités phénoménales, semble, au débutant, ouvrir sur des mondes nouveaux. Mais le plaisir ne cesse de décroître. Et il en faut toujours plus pour essayer de retrouver l’enchantement des débuts.
La décadence, et après ?
Huysmans, à qui Barbey d’Aurevilly avait prédit qu’il finirait « un revolver dans la bouche ou aux pieds de la croix », a fini, en effet, par se convertir au catholicisme. C’est le même esprit de rébellion qui mène à l’orgie et qui permet d’en sortir. « Moi, écrit Burchill, je m’en suis sortie en devenant vendeuse dans une boutique d’une organisation de bienfaisance ». L’être le plus décadent que nous fournit l’histoire, conclut-elle, c’est l’empereur Héliogabale. Un gamin fou de sexe et de meurtres qui régna entre ses 14 et 18 ans. Sa garde prétorienne finit toutefois par lui trancher la tête et la foule par balancer son corps dans le Tibre. On peut seulement imaginer ce qui va surgir pour « nettoyer nos propres écuries d’Augias », selon Burchill, qui nous croit en pleine décadence. Mais quoi que ce soit, nous allons continuer à faire des selfies tandis que la société brûle derrière nous. Mais où est-elle de nos jours, la Decadence Party, Julie ? Tu ne manques rien, tout le monde est confiné !
Crédits : France Culture