La fracture entre la sortie d’école et la réalité du monde du travail peut faire l’effet d’une douche froide. Les illusions qui tombent, le manque de maturité, l’absence de réponses adéquates face aux règles ou aux pièges de l’entreprise… Entretiens avec de nouveaux arrivés sur le marché et avec quelques patrons qui embauchent à la sortie d’école…
En 2019, une enquête Domplus-BVA-La Tribune menée auprès de 1.000 actifs âgés de 18 à 34 ans démontrait l’existence d’une relation ambiguë entre la nouvelle génération et l’univers du travail. Tiraillée entre appréhensions pour son avenir professionnel et attentes plus fortes d’une réalisation personnelle au travail, cette génération s’enquiert d’un large panel de critères : la question des ressources financières, celui de la carrière professionnelle, les questions de vie familiale et de santé, d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle et les conditions de travail…
Interrogées au sujet de leur atterrissage sur la comète Travail, Charlotte Roussel, étudiante en cinquième année à l’Item (Centrale Lille et Skema), et Marie Mormentyn, étudiante en école de commerce après trois ans en alternance, ont immédiatement évoqué leurs périodes de stage, étape importante qui précède l’embauche. « Au début d’une expérience professionnelle, on arrive dans un milieu inconnu, notre seule référence est un maître de stage que l’on a eu au téléphone juste quelques fois. On est plein de bonne volonté mais on ne sait jamais si la personne en face de nous est bienveillante ou si elle profite de notre statut, de notre manque de discernement sur ce qui est juste ou non en entreprise. Le tuteur peut complètement modifier la tournure de cette expérience. Un bon leader peut rendre une activité banale intéressante et un mauvais manager peut rendre la tâche la plus basique épouvantable. Être soutenus et écoutés peut permettre au stagiaire ou futur employé de donner 100% de lui-même. Avoir un soutien de la part de ses supérieurs et non une pression négative qui accable à la moindre erreur est important. Il m’est essentiel d’avancer dans un environnement dans lequel je me sens bien, auprès d’une personne de confiance à laquelle me référer en cas de questions, sans ressentir le moindre jugement en face, avec des missions intéressantes » explique Charlotte, qui précise « qu’entrer dans la vie professionnelle, c’est également sortir de sa zone de confort, être confronté au monde et aux responsabilités ».
Pour Marie, même constat, avec des attentes bien précises pour le futur : « ayant déjà de l’expérience dans le domaine de la communication et des relations presse, je ne souhaite plus être considérée comme étant débutante. J’aimerais ne plus devoir m’occuper des tâches ingrates comme ranger le bureau ou faire les cartons. Par ailleurs, il me semble normal que mon expérience et mon niveau d’études soient valorisés… J’ai toujours perçu le minimum, sans avantages, malgré mon investissement dans l’entreprise. Mon expérience devrait pourtant être prise en compte dans mon premier salaire et dans mon premier CDI. Nous pensons souvent à l’évolution au sein de l’entreprise… Qu’il n’y ait pas de limites ! L’entreprise dans laquelle je travaille actuellement ne pourra pas me proposer un poste plus élevé que celui que j’ai, alors que je n’ai guère de grandes responsabilités. Je n’ai donc pas envie d’y rester bloquée, c’est pourquoi je ne souhaite pas continuer en CDI dans cette structure. Enfin, il est également important pour moi d’avoir de bonnes relations avec mes collègues, ainsi qu’avec mes managers. La bonne ambiance au travail est primordiale, afin de pouvoir œuvrer et évoluer en toute confiance ».
De l’autre côté du décor, les chefs d’entreprise ont eux aussi leurs craintes et leurs réjouissances lorsqu’une génération X, Y ou Z arrive chez eux. Lionel Mortier, créateur de LM Immo, une agence immobilière dans laquelle les codes de l’immobilier sont revus et dépoussiérés, explique l’évolution de sa pensée à propos de ce sujet. « J’ai crée un lieu de travail agréable, avec des espaces conviviaux, des salons de réception confortables, où les clients qui viennent nous voir sont d’abord bien installés avant même de commencer à discuter de leurs projets. Dans ma structure, chacun gère son emploi du temps. Il y a une vraie flexibilité sur les horaires, surtout grâce au statut d’agent commercial indépendant. Dans ma start-up, où l’ouverture d’esprit règne, face à une clientèle intergénérationnelle, je me suis d’abord ouvert à des recrutements de profils allant de 19 à 59 ans. Je me suis vite rendu compte que la complexité du métier ainsi que la concurrence faisaient que les profils ayant un besoin incandescent de réussite, de projets, réussiraient peut-être d’avantage. Puis j’ai observé les profils de 30-35 ans – âge moyen pour avoir son, ses premier(s) enfant(s) et l’envie de se dépasser pour fonder une famille. Ce sont de supers profils, travailleurs, autonomes, carriéristes. Toutefois, je considère qu’il y a plus d’intelligence dans plusieurs cerveaux que dans un seul. C’est pourquoi je propose toujours à mes équipes de contribuer à des propositions d’idées de développement. C’est gratifiant pour chacun et l’entreprise représente ainsi très bien chacun de nous. Et alors là… Quelle a été ma surprise lorsque j’ai découvert ce que pouvaient apporter les plus jeunes…! J’ai pu percevoir des qualités stupéfiantes. Une expertise en prises de photos, en montages, en utilisation de filtres, en utilisation des réseaux sociaux… L’avenir se trouve chez les plus jeunes. L’épidémie de Covid développe même leur ambition : ils ont un enthousiasme à se dépasser, à se projeter pour la suite. Équipés d’une assurance déconcertante, d’une relation aux autres profondément sincère, les jeunes d’aujourd’hui montrent l’exemple pour le monde de demain. Je leur apprends mon métier d’agent immobilier, les clés de réussite et la complexité des situations. De leur côté, ils m’apprennent comment prendre soin de l’entreprise, comment développer notre notoriété et comment foncer vers de nouveaux modèles d’entreprises possibles pour l’avenir ».
Pour d’autres, c’est « au secours, j’ai embauché un jeune ». Michel, un chef d’entreprise qui souhaite demeurer anonyme, explique son désarroi face à des comportements qu’il ne comprend pas. « Les jeunes veulent tout, tout de suite. Ils n’écoutent pas. Ils vont même jusqu’à bâiller devant nous lorsque nous nous adressons à eux… Il y a indéniablement un choc des générations, mais qui de nous ou eux dure le plus longtemps ? », souffle-t-il, assez excédé. « Bon, après, je leur accorde le fait qu’ils évoluent aussi dans un monde où rester 30 ans dans la même boîte n’est pas, plus, possible… Et visiblement, ils n’en ont pas envie non plus…».
Et puis le Covid fut…
Toutes ces réflexions ont été mises à mal en 2020, lorsque l’urgence n’était plus de concevoir l’arrivée sur le marché du travail, mais si ce marché allait encore offrir des possibilités d’avenir. La crise sanitaire du Covid-19 a eu des répercussions sur la jeunesse, dont la situation avant crise était déjà moins favorable que pour d’autres groupes démographiques. Perturbation de leurs formations, dégradation de leurs perspectives d’embauche, entrave dans leur insertion ou leur transition professionnelle… Une enquête du Bureau International du Travail (BIT) réalisée auprès de 112 pays, publiée le 27 mai 2020 et confirmée par l’OCDE dans ses Perspectives de l’emploi 2020 montrait que la quasi-totalité des jeunes interrogés ont fait état d’une fermeture partielle ou totale de leur établissement de formation et la moitié d’entre eux d’un probable retard dans la réalisation complète de leurs études (voire d’une impossibilité à les terminer pour 10 % d’entre eux).
De quoi en oublier les questions liées aux tenues vestimentaires exigée par l’entreprise, de savoir s’il est bien vu ou non d’aller à la cafét’, et même d’apaiser la géhenne que peuvent provoquer les clivages intergénérationnels…