Nous parvient des Etats-Unis la rumeur d’une guerre entre les générations. Les Millenials s’étaient déjà opposés violemment à leurs aînés sur la question de la liberté d’expression, mais le fossé idéologique entre les baby-boomers et la génération Y semble désormais bien plus profond. Analyse.
J’ai déjà mentionné dans mes chroniques les livres assez cruels pour les Millenials de Haidt et Lukianoff, The Coddling of the American Mind et de Claire Fox, I find that offensive, l’auteure qui a créé l’expression « snowflake » pour stigmatiser la fragilité émotionnelle de la génération Y.
Ces essais rendent la génération dite Y, c’est-à-dire celle des personnes nées — en gros durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix du XXe siècle – responsables de l’atmosphère de victimisation, soupçon et de censure que symbolise la « cancel culture ». Cette manie d’interdire et de supprimer tous les symboles haïs d’un monde d’hier, au nom d’un monde de demain dont on ne semble avoir aucune idée précise, sinon qu’il serait plus « divers ». Dorlotés par leurs parents et leurs enseignants, les Millenials seraient hypersensibles, ne supportant ni la critique ni la contradiction.
Millenials censeurs versus Boomers libertaires
Dans son livre, Academic Freedom in an Age of Conformity, l’essayiste Joanna Williams rappelle que la génération du baby-boom a pris conscience de ses valeurs et de sa force, avant même les évènements de 1967, 68 et 69, à l’occasion du mouvement pour la liberté d’expression, créé en septembre 1964, à Berkeley, le Free Speech Movement.
Aujourd’hui, loin de se faire les champions des libertés académiques, nous voyons des exemples d’universitaires qui cherchent à soustraire des débats au public et à censurer des vues qu’ils estiment personnellement ou politiquement répréhensibles. Les restrictions, souvent auto-imposées, à l’expression apparaissent en net contraste avec l’esprit des années 1960.
Joanna Williams
La liberté d’expression, réclamée à corps et à cris par les anciens jeunes des sixties, serait devenue suspecte aux jeunes des années 2000, persuadés que le combat pour la justice sociale passe par un contrôle du langage quasi puritain. Mais le fossé idéologique entre la génération du baby-boom et celle des Millenials va bien au-delà de cette affaire.
Une mise au pilori en trois essais-chocs
- Bruce Cannon Gibney, A Generation of Sociopaths. How the Baby-Boomers Betrayed America.
Pour ce richissime investisseur de start-up, les boomers incarnent à ses yeux une « génération de sociopathes », responsable de la ruine des Etats-Unis. Pour ce capital-risqueur, ils ont hérité d’un pays admirablement géré par la génération qui avait fait la guerre, des gens sobres et compétents, dévoués au bien commun. Grâce à la perspicacité et à la mesure dont avaient su faire preuve leurs parents, les boomers ont pu vivre leur jeunesse dans l’opulence optimiste des Trente Glorieuses. Mais plus ils ont accédé aux leviers de décision, ce qui aurait commencé dès 1987, toujours selon Gibney, plus la machine s’est enrayée. Ils ont, en effet, utilisé leur pouvoir politique pour favoriser leurs propres intérêts. Ils ont acheté des maisons en période d’inflation, durant les années 1970, remboursant avec de la monnaie de singe. Les réformes fiscales se sont succédé – toujours dans le même sens, celui qui a permis de protéger l’enrichissement des boomers.
A présent, ils détiennent une part disproportionnée du capital, mobilier et immobilier. Tandis que les Millenials, qui se retrouvent chargés comme des baudets par leurs dettes d’études, éprouvent le plus grand mal à acheter un appartement.
- Jill Filipovic, OK, Boomer, Let’s Talk : How My Generation Was Left Behind
Pour cette journaliste, qui appartient au staff éditorial du New York Times, les boomers ont trahi leurs idéaux de jeunesse : beaucoup d’entre eux ont basculé vers le parti républicain, en vieillissant. Un phénomène qui aurait débuté dans les années quatre-vingt. A présent, ils entendent jouir d’une vieillesse confortable, en sacrifiant, là encore, les jeunes générations. La crise du COVID est en train de provoquer la ruine des personnes récemment arrivées sur le marché du travail. Tous nos pays se mettent en panne pour sauver les boomers qui ne laisseront décidément derrière eux que des ruines.
On retrouve la même férocité chez Helen Andrews, peut-être plus redoutable encore parce que l’éditorialiste écrit au vitriol et d’une plume acérée. Elle a eu l’idée de partir de cas concrets, plutôt que de se contenter de généralités ou de statistiques. Elle retrace la carrière de six boomers célèbres et qu’elle juge emblématiques de toute la génération : Steve Jobs, le fondateur d’Apple, l’essayiste féministe Camille Paglia, l’économiste Jeffrey Sachs, le pasteur pentecôtiste Al Sharpton, qui fut le manager de James Brown, le scénariste et producteur de cinéma et de télévision Aaron Sorkin, et Sonia Sotomayor membre de la Cour suprême.
Si l’on comprend bien, ce qu’ont eu en commun tous ces boomers typiquement américains, c’est une tendance à l’hubris, un orgueil démesuré qui les a souvent conduits à sortir de leur domaine de compétence, à en faire trop… et à provoquer des catastrophes, en partant de bons sentiments. Finalement, c’est peut-être ça qu’on peut surtout reprocher aux boomers.
Crédits : France Culture