Qui dit Gers, pense Gascogne et ses cadets, D’Artagnan évidemment, repas plantureux, Armagnac… et désormais, champs de coton ! Car pour la première fois en France, trois jeunes agriculteurs ont décidé de faire pousser du coton dans ce département du sud-ouest. Et ça marche.
A Montréal-du-Gers, à la limite du Lot-et-Garonne et des Landes, Yohan de Wit et ses beaux-frères Médéric et Samuel Cardeillac cultivent désormais dix hectares de coton. Les trois jeunes agriculteurs produisaient déjà des céréales et du vin, mais souhaitaient innover. « Nous voulions explique Yohan de Wit, demeurer dans le Gers. Nous avions la chance depuis notre naissance de disposer d’un outil de travail, l’exploitation agricole, et l’envie d’un produit dont nous maîtriserions le processus du début à la fin. Après réflexion sur ce que nous pouvions faire en dehors de nourrir et d’abreuver, nous avons pensé aux vêtements, plus exactement à leur fabrication. Nous avons tout de suite écarté la laine, l’élevage étant un autre métier que le nôtre, et avons décidé d’essayer la culture du coton. »
Au départ, il faut expérimenter. A priori les conditions climatiques de cette partie du Gers semblent propices. Une terre argilo-calcaire qui conserve l’humidité, un bon ensoleillement, des chaleurs régulières en été et suffisamment d’eau à l’automne. Les essais commencent en 2016 avec quelques graines achetées sur Internet et plantées au fond du jardin. Ils s’avèrent concluants ; il est possible de faire pousser du coton en France. L’année suivante, ils sèment les graines plein champ sur deux hectares, sans irrigation ni pesticides. Une règle absolue qui perdure. « La première année, nous avons ramassé le coton à la main. Un travail titanesque. Du coup reprend Yohan de Wit, nous avons acheté une automotrice en Espagne pour la récolte suivante. Quatre ans après, nous ne maîtrisons pas encore tout sur cette culture unique en France et comme tous les agriculteurs, mon plus gros stress vient toujours du ciel. Quand le soir je me couche sous un ciel encombré de nuages noirs, j’appréhende de possibles chutes de grêle qui en quelques minutes anéantiraient tous nos efforts. Autre difficulté notable, les insectes qui endommagement une partie de notre production et contre lesquels, nous cherchons encore des moyens naturels de lutter. »
C’est la ouate qu’ils préfèrent…
Leur pari fou réussi, tous trois s’interrogent. Que faire du coton, le vendre ou l’exploiter ? Certes les rendements sont faibles par rapport aux pays producteurs comme la Grèce, l’Espagne ou le Brésil, mais qu’importe. Ils se renseignent sur toute la filière, du fil au produit fini, et décident de créer leur propre marque de polo. Un vêtement 100 % français. Unique comme leur production. Une fois le coton ramassé, il est séché, trié, égrené, pressé et mis en ballot sur place. Ensuite les balles de coton partent dans les Vosges pour la filature et de là, le coton est expédié à Troyes pour le tricotage et la teinture avant de revenir dans le Sud-Ouest, vers des ateliers de confection landais à Mont-de-Marsan. Au final, pour l’ensemble de la fabrication, de la production de coton jusqu’au lieu de vente dans le Gers, le textile aura parcouru 2 500 kilomètres, sans passer de frontière. Par comparaison, un jean peut voyager 65 000 kilomètres avant d’atteindre les étals des commerces.
Près de quatre ans après son lancement, la petite entreprise est rentable. « Notre objectif à terme est de pouvoir fabriquer dix mille polos ou équivalents polos. Avec la récolte 2019 sur nos dix hectares exploités, trois mille ont été fabriqués. Pour l’instant, seuls sont proposés des polos pour femmes et hommes dans différents coloris qui vont du gris au rouge en passant par le bleu. Nous réfléchissons à lancer une gamme pour les enfants et bientôt nous proposerons des tee-shirts et chaussettes. »
Les vêtements sont tous ornés du logo de la marque, trois fleurs de coton représentant les trois fondateurs. Il n’existe aucune étiquette sur les produits, l’appellation « fabriqué en France » étant brodée, à l’intérieur, sur le col.
Un coton gersois qui s’exporte
A Montréal-du-Gers, village de 1 200 habitants, on se réjouit de cette prouesse agronomique. On parle de la commune bien au-delà du département et les commandes des clients boostent l’activité du bureau de poste, tous les envois partant du village. Les polos sont vendus à des prix plutôt haut de gamme, entre quatre-vingt-quinze et cent vingt euros, mais ils sont 100 % français et favorisent une production hexagonale et écologique. « Nous avons lancé nos produits via les réseaux sociaux. Ils se vendent exclusivement sur Internet en France et au-delà de nos frontières, en Belgique, Suisse, Pays-Bas, Suède et même au Canada. Et si nous avons de temps en temps quelques angoisses, la culture du coton nous apporte aussi quelques jolies surprises. Le coton a signé le retour de beaucoup d’animaux autour de notre exploitation. Les frelons, les chenilles qui mangent les petits insectes, et également de nombreuses hirondelles. Les abeilles aussi depuis que l’une de nos voisines, apicultrice, a déposé quelques ruches au bord de notre champ, le coton étant une plante mellifère. Diversifier en nous réinventant est une manière de préserver nos exploitations. »
Avec le réchauffement climatique qui s’annonce, de plus en plus d’agriculteurs seront contraints d’innover pour s’adapter, et des cultures que l’on jugeait jusque-là impossibles en France à l’image du coton, pourraient bien nous épater !