Assurer l’interface entre les petites entreprises et les travailleurs indépendants en misant sur une approche humaine : c’est le positionnement qu’a choisi Anaïs Haguel en créant NeoWorker. Une agence d’un genre nouveau donc, dont la formule fait recette auprès d’une centaine de TPME du territoire provençal. Pour autant, il faut encore évangéliser le marché.
C’est une initiative pour le moins novatrice dans le secteur de la gestion des ressources humaines. Ni agence d’intérim traditionnelle, ni plateforme impersonnelle fleuron de l’ubérisation, la Marseillaise NeoWorker s’est positionnée sur une niche que sa fondatrice, Anaïs Haguel, qualifie d’avenir. Celle-ci joue en effet les interfaces entre les freelances et les petites structures rencontrant des besoins ponctuels, ou récurrents sur peu d’heures par semaine, dont les finances ne permettent pas d’embaucher de nouveaux collaborateurs. Et justement, avance la dirigeante, une solution telle que la sienne « constitue un levier pour passer des caps de croissance. Car dans certains cas, il est plus pertinent d’avoir recours à de la ressource externalisée. »
Ce positionnement-là, Anaïs Haguel l’a tiré de son propre parcours. Un peu de manière empirique, puisqu’il s’est quelque part imposé à elle, après quelques années de salariat « en tant que couteau suisse de la petite boîte ». Une ligne de vie professionnelle qui est souvent le lot de jeunes diplômés, raconte-t-elle. « J’ai obtenu à l’IAE un master en management des activités de service. Avec à la clé, le sentiment d’une formation trop généraliste, de ne pas avoir de réel métier en main. Et donc, le développement d’un beau syndrome de l’imposteur… » Elle décroche néanmoins un premier poste à Paris chez Harley Davidson, avant de revenir à Marseille deux ans plus tard. « Nous sommes alors en 2008, en pleine crise des subprimes. Autant dire qu’être jeune diplômée comptant seulement deux ans d’expérience dans un contexte pareil, c’était le chômage assuré. » Elle décide donc de prendre ce qu’elle trouve et enchaîne les contrats. Elle devient responsable de boulangerie avant d’intégrer l’entreprise Lovely Planet, où elle prend peu à peu du galon dans les fonctions commerciales. Elle se forme ensuite pour se spécialiser dans le commerce de spiritueux et rebondir au sein de Château Lacoste, elle s’illustre enfin dans le secteur de l’aide à domicile. « Bref, je suis allée de PME en TPE en occupant des postes à l’intitulé pompeux, sans jamais vraiment avoir la paye qui correspondait, en endossant aussi les attributs d’un cadre sans en obtenir le statut… J’ai donc décidé de proposer mes services en freelance. » Anaïs Haguel se lance donc, en 2016. « Et je me suis vite retrouvée à temps plein. »
Au centre, l’humain
Débordée, elle sous-traite alors à d’autres freelances. Avant de créer NeoWorker, en 2019, en se tenant à sa ligne de conduite : l’humain avant tout. « Je prends plaisir à rencontrer chaque indépendant, pour connaître, au-delà des seuls diplômes, expérience, parcours de vie, hobbies, aspirations… Je demande à chacun combien il entend facturer sa journée de travail. » En fonction, elle négocie avec l’entreprise un devis au taux/jour. Anaïs Haguel travaille pour l’heure avec quelque cent freelances, s’illustrant dans toutes les fonctions supports de l’entreprise. « Ce sont des personnes en local devenues indépendantes par choix. Elles sont âgées de 30 à 50 ans, elles ont souvent touché à plusieurs secteurs d’activités, pratiqué d’autres métiers aussi. Aujourd’hui, je fais vraiment travailler une quarantaine d’entre eux, mon objectif est de solliciter tout mon fichier. » Cela signifie multiplier les missions, mais c’est en bonne voie. L’entreprise a atteint ses objectifs et enregistré un CA de 300 k€ sur le premier exercice. Près de cent petites structures basées sur les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et le Var font déjà appel à NeoWorker. Clients que la dirigeante prend également le temps de rencontrer pour, là encore, mieux comprendre leur parcours. Le but final : mettre la bonne personne face à la bonne mission. « Par exemple j’ai placé, dans une entreprise dont le dirigeant venait des pays nordiques, une DRH qui connaît très bien l’Europe du Nord. Parfois c’est très subjectif : on sent que ça va fonctionner. Il s’agit de faire matcher les disponibilités des uns et des autres, la géographie, les compétences, les caractères, le vécu, les soft skills… Un savant mélange. »
Anaïs Haguel facture ensuite à la journée ou à la demi-journée le 1er du mois après la mission. L’indépendant, quant à lui, est payé 28 jours plus tard. Pour ce qui est du modèle économique, la dirigeante se rémunère à hauteur de 30 %. En cas de mission récurrente (soit 80 % des cas), c’est via une commission prise sur le freelance. S’il s’agit d’un one shot, elle sera prélevée sur le client. « Il trouve généralement juste de payer plus cher pour déléguer la sélection d’un professionnel. Et le free, de son côté, s’évite de perdre du temps à chercher de nouveaux clients et à se faire payer. Mais c’est un système qui nécessite de la trésorerie, puisque certaines entreprises, et pas les plus petites, paient parfois à 120 jours… »
Traquer le salariat déguisé
Et puis, il y a un autre point sur lequel Anaïs Haguel demeure vigilante, lorsqu’une entreprise la sollicite : elle veille à ne pas encourager le salariat déguisé. Elle regarde donc plusieurs indicateurs avant de s’engager avec un nouveau client et en la matière, il lui arrive parfois de dire non. « Il y a deux typologies : je peux refuser tout d’abord du fait du contenu de la mission. Par exemple, la réglementation interdit de faire de la comptabilité en externalisé. Elle doit être réalisée soit en interne, soit par un expert-comptable. Ou alors, c’est la forme qui pêche, la question de la récurrence, notamment. Au-delà de trois jours par semaine sur le long terme, c’est qu’il y a un vrai besoin d’embauche. » Hormis ces cas de figure, Anaïs Haguel répond donc présent. « Lors de la mission, l’indépendant apporte sa solution, il utilise son outil de travail. C’est notamment le cas lorsque l’entreprise éprouve le besoin de faire émerger une nouvelle compétence. Je pense à l’une d’elles qui s’était développée très rapidement et de fait, manquait de fonction RH. Il lui fallait donc un DRH deux jours par semaine. J’en ai placé une pendant plus d’un an sur la structure. Aujourd’hui elle supervise toujours, mais elle a mis en place des process avec les dirigeants et posé les jalons en vue du recrutement prochain d’un DRH. »
Une solution qui devrait compter de plus en plus d’adeptes, d’autant « qu’une vraie décentralisation est à l’œuvre. Une dizaine de freelances parisiens, arrivés après le premier confinement, m’ont contactée. » Parallèlement, certaines entreprises envisagent elles aussi de quitter la capitale. Des perspectives, donc. Mais aussi un bémol : « Ici contrairement à Paris, il faut évangéliser le marché… Hormis pour la communication, avoir des fonctions supports externalisées ne se conçoit pas encore. Je dois donc me mobiliser sur deux sujets : faire connaître et mon modèle, et mon réseau local. Mais aussi, expliquer que freelance, ça ne veut pas dire forcément ubérisation et précarisation. » Ces verrous levés, il faudra par ailleurs songer au déploiement. « Je réfléchis à la meilleure méthode, je ne veux pas passer par une plateforme et rester dans l’humain. Mon objectif pour les 18 mois qui viennent, c’est déjà de valider qu’une agence peut être gérée par une personne, de recruter sur la partie gestion et de faire travailler mes cent indépendants. » Pour cela, Anaïs Haguel doit œuvrer au business developpement. « Je me laisse trois ans pour déterminer comment, et s’il est opportun de dupliquer le modèle, investir sur un vrai package de concept et creuser le modèle juridique. » Point d’inflexion possible donc en 2025.