Nous avons brièvement, lors de mon dernier article, examiné la voix du cynisme dans la stratégie du conflit. Voyons aujourd’hui l’autre polarité, qui est l’empathie.
Mais d’abord, je ne voudrais pas donner l’impression d’évacuer le cynisme pour n’en plus jamais parler. Car le cynisme — et j’ai dit combien il était présent en chacun de nous — est aussi ce qui nous permet de ne pas sombrer dans une forme extrême d’empathie, que les psychologues appellent parfois : la confluence. La confluence, c’est par exemple l’état du bébé vis-à-vis de sa mère, au tout premier temps de sa vie, alors qu’il ne sait pas très bien faire la frontière entre elle et lui ; la confluence, c’est la disparition des frontières et des limites entre l’autre et nous. Elle rend toute prise de hauteur problématique.
Être cynique — autrement dit, faire fi de la morale —, est aussi une manière de se détacher d’une morale qui pourrait être trop étroite. Disons que, sur le chemin du cynisme, il y a la remise en question des principes de la morale ; ce qui signifie qu’à vouloir éviter absolument tout cynisme, on peut sombrer dans le conformisme.
Une fois cet avertissement énoncé, disons combien l’empathie peut nous aider dans les situations de conflit. À condition, cependant que vous en ayez fait preuve avant la situation de conflit. L’empathie est le moyen d’établir une relation solide avec l’autre. Fort de cette relation solide, il vous sera plus facile de traverser le conflit.
L’image du ring
J’aime évoquer l’image de la boxe, ou d’ailleurs de tout autre sport de combat. Dans la boxe, il est permis de se taper dessus et même de se taper très fort. Chacun, pourtant, y consent. C’est en cela qu’il ne s’agit pas de violence. Car aucun des deux adversaires, en situation normale, n’agit comme si l’autre n’existait pas, n’agit comme si l’autre n’avait pas ses propres désirs, son propre mouvement, ce qui est la marque des situations de violence. De plus, le sport est régi par un cadre très bien défini : des règles, un arbitre. Le cadre est même très bien matérialisé par le ring et son carré de corde qui contient la brutalité du combat. Le ring est une bonne image de la solidité d’une relation car celle-ci est le « sol » sur lequel les combattants peuvent s’affronter.
L’empathie est le moyen de construire ce sol, de construire ce ring, et même de placer ses cordes autour du terrain qui évitent à chacun de se blesser.
Kim Scott, qui a élaboré des programmes de formation au management chez Apple et Google, dans son livre « En toute franchise » — titre anglais : Radical candor —, fait de l’attention portée à l’autre l’un des deux axes essentiels du management.
Pas d’attention à l’autre sans empathie ; ou, plutôt, l’attention portée à l’autre sans empathie est mécanique et sans vie et ne produit pas le résultat escompté d’une relation plus forte.
L’autre axe essentiel, toujours d’après Kim Scott, est la confrontation. C’est ainsi, raconte-t-il, que Steve Jobs pouvait fort bien dire à qui lui présentait un projet : « c’est merdique ! » Pris comme tel, ce pourrait être perçu comme une obscène vulgarité. Sauf, nous dit l’auteur, si c’est dit dans le cadre d’une relation solide où l’autre n’a pas de doute sur la cible de l’invective : le projet présenté et non la personne.
Ceci rejoint mon ring de boxe. En tout autre endroit, un coup de poing signifie : « je te méprise et te détruis ». Ici, il est un geste sportif.
L’empathie permet de faire de vos conflits des gestes sportifs.
Les autres articles de la série :