La science n’a pas toujours été l’ennemie de la religion

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Où en sont les rapports entre science et religion ? Savants et croyants sont-ils réconciliés ? Dans cette troisième chronique consacrée à ce sujet, Brice Couturier rappelle que la science n’a pas toujours été l’ennemie de la religion, que ce « divorce » n’est intervenu qu’au milieu du XIXe siècle.

Les années dix du XXIe siècle ont vu l’apparition des « quatre cavaliers du nouvel athéisme ». Sam Harris, spécialiste en neurosciences, auteur de The End of Faith : Religion, Terror and Future of Reason, publié en 2004 ouvrait le ban. Bientôt suivi de Richard Dawkins, biologiste : Pour en finir avec Dieubest-seller aux Etats-Unis en 2006, traduit en français en 2008. Christopher Hitchens – essayiste touche-à-tout que je vénère – dont le livre Dieu n’est pas grand. Comment la religion empoisonne tout, a également été publié en français en 2009. Et Daniel Dennett, spécialiste en sciences cognitives, qui publie en 2006 Breaking the Spell : Religion and Natural Phenomenon.

Le discours des nouveaux athéistes

Harris, Dawkins, Hitchens, Dennett. Ce qui frappait dans leur démarche, c’est que ces quatre-là refusaient la paix des braves que proposaient les défenseurs raisonnables des religions depuis un certain temps : nous ne vous contestons pas l’autorité qui est la vôtre. Par l’observation, l’évaluation, l’expérimentation, vous construisez des modèles prédictifs et vous découvrez les lois qui gouvernent l’univers matériel, du plus grand au plus petit des éléments le composant. Nous vous abandonnons la question du comment. Elle n’est pas de notre ressort. Nous l’admettons. Mais laissez-nous proposer nos propres hypothèses quant à la question du pourquoi, en quoi vous gêne-t-il que nous attribuions à un Créateur l’origine des lois que vous observez ? 

Les nouveaux athéistes répliquaient que la question de l’existence de Dieu relevait bel et bien de la science et que la réponse était : non, ça n’existe pas. On ne peut pas non plus faire l’impasse sur l’éventualité d’une intelligence créatrice, d’un dessein intelligent. Or, non, cela aussi demeure invraisemblable. C’est une manière de raisonner à l’envers, à partir de l’état présent de l’évolution que d’imaginer qu’il constituerait le dernier mot, l’aboutissement nécessaire et planifié d’un plan global. 

Le concept occidental de science est né au XIXe siècle

Et d’abord du côté de l’histoire des sciences. Dans The Warfare Between Science and Religion: The Idea That Wouldn’t Die (La guerre entre science et religion : l’idée qui ne veut pas mourir), l’historien américain des sciences Ronald Numbers met en pièces l’idée selon laquelle les religions révélées ont constamment combattu le développement de la recherche scientifique. 

Au contraire, aucune institution n’a fourni autant de moyens à l’étude de l’astronomie que l’Eglise catholique entre le XIIe et le XVIIIe siècle. Jusqu’au XIXe siècle, la science ne se distinguait pas de la « philosophie naturelle »

Tom McLeish, physicien et vice-chancelier de l’université de Durham estime que le « récit du conflit » permanent entre science et religion a été déconstruit ces dernières années par plusieurs historiens des sciences, comme Peter Harrison et Ronald Numbers. Mais ce sont surtout James Ungureanu, dans Science, Religion and the Protestant Religion et Elaine Ecklund, dans ses enquêtes sur les croyances religieuses des scientifiques, qui ont fait justice du mythe persistant d’un conflit irréductible entre savants et croyants.

« The conflict thesis » déconstruite

Une approche historiographique montre que c’est au milieu du XIX° siècle que s’est imposée cette thèse que ne vérifie pas l’histoire des sciences. Elle aurait pour origine deux personnages éminents, tous deux Américains : John William Draper, auteur d’un livre intitulé Les conflits de la science et de la religion, publié en 1874 et Andrew Dickson White, premier président de la Société américaine d’histoire et fondateur de l’université Cornell, qui publia en 1896, A History of Warfare of Science with Theology in Christendom (1896).

Contrairement au grand récit de Draper et White, qui est « une fable construite », « l’histoire de la pensée scientifique est étroitement liée à celle de la religion, et comporte bien plus de continuités que de discontinuités », écrit Tom McLeish. Et il fait resurgir des personnages décisifs de cette histoire, comme l’évêque de Lincoln Robert Grosseteste qui, au XIIIe siècle, en Angleterre, recueillant les enseignements d’Aristote des savants arabes, fait figure de pionnier, puisqu’il eut l’intuition du Big Bang et qu’on trouve même dans ses écrits l’idée du multivers : une série de fluctuations parallèles à notre propre univers, régies par d’autres lois, d’autres constantes… 

Le rôle des Science and Technology Studies

Pourquoi ce changement ? Peut-être sous l’effet du développement des départements de Science and Technology Studies, programmes de recherches en sciences humaines, en vogue aux Etats-Unis. 

On y étudie la manière dont les facteurs culturels et sociaux interfèrent avec le développement des sciences. Comme tout « discours de vérité », celui des sciences, y apprend-on, est  « socialement construit ». Le post-modernisme est passé par là. Il a jeté des doutes sur la capacité des disciplines créées par la modernité occidentale — y compris la science ! – à rendre compte de manière rationnelle de la réalité. Là-dessus sont venues se greffer les angoisses nées des développements récents des sciences et des techniques : nanotechnologies, intelligence artificielle, OGM, transhumanisme, dérèglement climatique… Bruno Latour appelle à réexaminer les rapports entre science, maîtrise et théologie.

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