Ils étaient chômeurs, touchaient les minima sociaux ou enchaînaient les petits boulots. Ils sont devenus, grâce au soutien de la Fondation Raoul Follereau, patrons de leur propre entreprise à la campagne. Depuis 25 ans, l’institution aide chaque année une quarantaine de personnes précaires à créer leur activité de maraîchage, d’artisanat ou de petit commerce en zone rurale. L’objectif poursuivi est double : lutter contre la précarité et redynamiser les territoires ruraux.
Adrien Kempf a 35 ans et habite depuis trois ans avec sa compagne dans la campagne périgourdine. Et cela lui réussit bien. Il est son propre patron, il a créé une brasserie artisanale en 2017. Dans un mois, le 20 novembre précisément, il s’agrandit. Avec sa compagne et deux artisans-boulangers, ils se sont associés pour ouvrir « un troquet paysan », baptisé la « Courte Échelle » à Saint-Hilaire-D’estissac, en Dordogne. C’est un café dans une ferme. Sur la propriété, chacun a sa culture et son atelier de fabrication. La femme d’Adrien a son petit verger — fruits et plantes aromatiques, sa matière première pour fabriquer confitures, sirop, huiles et vinaigres aromatiques. Les artisans-boulangers produisent leurs céréales et farines. Quant à Adrien, il fait pousser orge et houblon. Tous ces produits seront ensuite vendus dans la ferme, soit sur place autour d’un café soit à emporter.
Aider à accéder à une stabilité professionnelle
Ce projet n’aurait probablement pas pu voir le jour sans le soutien de la Fondation Raoul Follereau. Depuis 25 ans, à travers son programme « Action rurale », elle aide les personnes peinant à trouver du travail, à créer leur emploi en zone rurale. « Avec des subventions ou des prêts à taux zéro, nous les aidons d’abord à lancer leur activité, puis à réussir. Nous les accompagnons pendant 5 ans » pose Remi Lelong, responsable du service Ruralité au sein de la Fondation. Chaque année, en moyenne 40 projets sont sélectionnés sur dossier. « L’aide par projet est de l’ordre de 5000 euros à la création et 2550 euros à la consolidation » précise la Fondation. « En 2021, nous allons soutenir 20 projets supplémentaires », poursuit Remi Lelong. Pour être sélectionné, « il faut être en situation de précarité professionnelle : toucher les minima sociaux, être au chômage, ou enchaîner les CDD.
Le but d’Action rurale » est d’aider les personnes à accéder à une stabilité professionnelle. Il faut également être porteur d’un projet en milieu rural, dans une commune de moins de 4000 habitants. Nous espérons ainsi revitaliser nos campagnes. Enfin, il faut que le projet soit viable. Le but est qu’au bout de cinq ans, la personne accompagnée puisse vivre de son activité » déroule le responsable Ruralité.
Créer son propre emploi
Adrien Kempf, quand il a déposé sa demande en 2017, cochait toutes les cases. Il avait alors 32 ans et quelques désillusions. « Je fais partie d’une génération à qui on n’a cessé de répéter de faire des études. Le diplôme, disait-on, était le sésame pour décrocher rapidement et facilement un emploi stable. C’est ce que j’ai fait. J’ai un master en gestion sociale de l’environnement » relate-t-il. Diplômé à 23 ans, il obtient pourtant qu’un CDD de 6 mois. Il connaît ensuite le chômage, avant de retrouver un emploi dans une association basque soutenant le développement d’une agriculture paysanne et durable. Il y reste 5 ans. Puis c’est de nouveau le chômage.
Mais cette fois, plutôt que de ramer à chercher un travail, il décide de créer son propre emploi. « Dans mon précédent travail, au sein de l’association basque, j’avais aidé de jeunes agriculteurs à trouver des terres pour installer leur petite exploitation. Cela m’a donné envie. Alors j’ai profité de ce moment au chômage pour travailler mon projet : la production de bières artisanales », explique-t-il. Pôle Emploi lui finance une formation de brasseur pour qu’il acquière les techniques du métier. En parallèle, il élabore un plan prévisionnel, analyse le marché, réfléchit à la commercialisation de ses futurs produits et cherche des financements. À la Chambre des métiers et de l’artisanat de Dordogne, un conseiller lui parle de la Fondation Raoul Follereau et de son « Action rurale ». Il remplit le dossier et l’envoie. Remi Lelong le rappelle. « Il m’a posé des questions très pertinentes sur mon projet. Il ne s’intéressait pas qu’aux chiffres, mais au fond du projet », se souvient Adrien.
Mener toutes les tâches de front
Pas étonnant, Remi dans une autre vie a été patron de sa propre boîte. Le manque de temps, les problèmes de trésorerie, la recherche continuelle de nouveaux clients, les petits problèmes qui deviennent gros, tous les défis que connaissent les chefs d’entreprise, il les a connus. Alors, il sait immédiatement identifier les points d’alerte sur les projets qu’il accompagne en tant que « conseiller en action rurale ». « Un couple à Montpellier avait un projet maraîcher sauf qu’ils habitaient une trentaine de kilomètres de leur exploitation. Cela leur faisait perdre du temps, de l’argent en essence, et ils prenaient le risque de se retrouver bloqués, de ne pas pouvoir aller travailler si leur voiture tombait en panne. Nous les avons aidés à trouver un terrain plus près de leur maison », illustre-t-il.
« Moi, il m’a aidé à gagner du temps », confie Adrien. À la création de son projet, il obtient de la fondation un prêt de 4500 euros à taux zéro. « La première année, je me suis fait déborder. Je n’ai aucun problème à réaliser chaque tâche isolément : production, gestion des fournisseurs, commercialisation, comptabilité. Mais devenir son propre patron, c’est mener toutes ces tâches de front. Les journées étaient très longues et à terme cela allait poser problème m’a fait remarquer Remi ». Le conseiller en « action rurale » l’interroge alors : comment Adrien peut-il optimiser sa production ? Ensemble ils trouvent la solution : l’achat de deux machines, une pour l’embouteillage et une pour l’étiquetage. La fondation lui octroie une aide supplémentaire de 5000 euros. « J’ai gagné du temps que j’ai pu consacrer à d’autres tâches et aussi à réfléchir avec ma compagne à notre projet de ferme et de “troquet paysan”. J’étais aussi en capacité à répondre aux demandes d’une clientèle qui grossissait », conclut Adrien Kempf.