Historien vedette de la BBC, Tom Holland publie un essai dans lequel il met en parallèle les grandes étapes de l’histoire européenne avec le christianisme. Une thèse qui voit, de la chute de l’Empire romain au marxisme, le christianisme comme la source de toute chose en Europe. Polémique garantie !
Qui est Tom Holland ? Pas l’acteur britannique qui incarne Spiderman à l’écran, l’autre. C’est le Xavier Mauduit de la BBC. Il présente sur BBC 4 une émission formidable intitulée Making History. Formidable, parce qu’elle repose sur des récits, des mises en scène de séquences historiques sous forme de dramatiques audio.
Lorsque je l’ai interviewé en novembre dernier à propos de son livre, paru aux éditions Saint-Simon, Les chrétiens. Comment ils ont changé le monde, Tom Holland me confiait qu’il se considérait avant tout comme un conteur d’histoires :
Il ne faut jamais perdre de vue que l’histoire est une forme de littérature. Les historiens d’autrefois la considéraient d’ailleurs comme une branche de la littérature. Sinon, elle est ennuyeuse. Je ne suis pas un universitaire, je suis un conteur d’histoires.
De la chute de l’Empire romain au marxisme, le christianisme à la source de tout en Europe
À la lecture de cet ouvrage, j’ai eu le sentiment que son auteur avait voulu répondre, à deux siècles et demi de distance, à son compatriote Edward Gibbon. Dans son Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, ce dernier, pur produit de l’Enlightenment britannique, tend à rendre la diffusion du christianisme dans l’Empire romain responsable de son affaiblissement, de son déclin et de sa chute. Les chrétiens y ayant formé « une société séparée » qui le minait de l’intérieur, ruinant ainsi la vieille religion civique romaine.
Pour Tom Holland, au contraire, tout ce qui est apparu en Occident jusqu’à une date récente – et même ce qui lui paraît le plus hostile, comme les Lumières, la laïcité, voire le marxisme – a une origine chrétienne. Son histoire tisse une toile qui fait s’entrecroiser les développements de la pensée chrétienne et l’histoire politique et culturelle de l’Europe, de l’Occident.
Selon cette vision, toute l’histoire européenne baignerait ainsi dans un christianisme omniprésent et multiforme, mais ferait, depuis le XIXe siècle, l’objet d’un immense refoulement. Son livre est d’une érudition formidable et d’une lecture passionnante : deux qualités rarement réunies.
Chaque chapitre, centré autour d’une date et d’un événement ou d’un personnage, apporte une nouvelle pierre à l’édifice de l’histoire européenne, occidentale, et comporte une leçon. Mais, comme Holland y insiste, il s’agit de récits – vivants et documentés. Dans le style qui fait de ses émissions pour la BBC des succès populaires.
Le point de départ est le suivant : il était stupéfiant d’élever à la dignité suprême, celle de la divinité, un homme né dans les franges orientales de l’Empire romain et y ayant subi le châtiment réservé aux esclaves, la crucifixion – Jésus de Nazareth. Mais c’était faire entrer l’humanité dans un nouveau paradigme : le triomphe du plus faible, l’élection de l’humilié, du supplicié.
Science et christianisme, une alliance née au XIXe siècle
Dans le chapitre qu’il consacre aux rapports entre science et religion, Tom Holland nous transporte dans un immense cimetière de dinosaures, découvert en 1876, par le paléontologue américain, Edward Drinker Cope, dans un ravin du Montana. Comment concilier la découverte de ces fossiles datant de plusieurs dizaines de millions d’années avec le récit biblique de l’Arche de Noé ? On n’a jamais entendu parler de tyrannosaure ou de stégosaure à bord de la fameuse arche…
C’est pourtant bien à un ecclésiastique, le géologue et paléontologue d’Oxford William Buckland, qu’on doit la première description complète d’un dinosaure, 18 ans avant l’invention de ce mot par Richard Owen.
En Grande-Bretagne et en Amérique en particulier, la conviction que la main de Dieu était manifeste dans la nature, ce que l’on appelait la « théologie naturelle », était devenue, au milieu du XIXe siècle, une arme clé des défenseurs du christianisme.
Tom Holland
À travers l’identification des mécanismes à l’œuvre dans le monde physique, la « philosophie naturelle », comme on appelait encore la science, était censée fournir des lumières sur les intentions du Créateur. La science et le christianisme pouvaient donc faire bon ménage.
Darwin, pierre d’achoppement de la philosophie naturelle
Tom Holland convient que ce mariage de convenance devait nécessairement achopper sur le darwinisme. Pas tant parce qu’évolutionnisme ruine la théologie de la création de l’homme par la divinité elle-même et « à son image », mais à cause de certaines utilisations qui ont été faites du darwinisme.
L’idée que la morale puisse être le résultat de l’évolution choquait déjà Emma Darwin, son épouse. Pour Darwin, le sens moral est le fruit des instincts sociaux, acquis au cours des millénaires, et du développement particulier de l’intelligence chez l’être humain. Mais il ne saurait être rendu responsable de ce qu’on appelle le darwinisme social, théorie raciste selon laquelle la sélection naturelle élit les peuples forts et justifie leur domination sur les peuples faibles, condamnés à l’extinction. En tous cas, il est évident qu’elle contredit frontalement la doctrine chrétienne.