C’est l’histoire d’un chef d’entreprise porteur d’un projet – le Pôle Environnemental de Giuncaggio — qui doit permettre de sortir de la crise des déchets que connaît la Corse. Mais pour faire reconnaître son innovation à la pointe de la technologie, c’est un véritable parcours du combattant…
Dans son bureau d’Aléria, en Haute-Corse, la solitude de l’entrepreneur lui pèse. « Si j’avais su que c’était aussi compliqué, je n’y serais peut-être pas allé ». Jean-Paul Villa n’est pas homme à se laisser abattre, mais il se bat seul sans soutien de l’Etat et des politiques. « Depuis 2014, je me débats dans un océan de décisions et de normes, l’administration joue son rôle, mais les politiques font du marketing, de l’électoralisme à courte vue ». Tous sont pourtant venus louer son projet. « Mon projet est pourtant simple, ce n’est pas une raffinerie de pétrole ! » tempête le dirigeant de la société Oriente Environnement, promoteur du projet.
Techniquement, il consiste à gérer et à stocker les seuls déchets non valorisables sur un site répondant à l’ensemble des critères indispensables pour l’implantation de ce type d’installation. Ce projet est stoppé sans qu’aucune autre solution, publique ou privée, n’ait encore été proposée malgré les engagements du Conseil Territorial de Corse. La décision favorable début juillet de la Cour Administrative d’Appel de Marseille lui a mis du baume au cœur, mais il n’a toujours pas reçu les indispensables prescriptions techniques de l’arrêté préfectoral d’autorisation. Cette inertie aura coûté 8 millions d’Euros dont deux tiers par les Corses (15 euros par habitant) et le reste par l’Etat. C’est le coût du stockage temporaire, de la mise en balles sous film plastique et l’« exportation » sur le continent dans les incinérateurs à Fos-sur-Mer et Nice. « La Corse pourrait être en pénurie de capacité technique de traitement de ses déchets résiduels si aucune nouvelle installation n’ouvre et si d’autres blocages persistent », alerte Jean-Marie Barbaud, gérant du bureau d’études 2N Environnement. « C’est une prise d’otage, tout est bloqué, on ne peut rien faire nous sommes suspendus à un geste du préfet ».
Retour en arrière. En 2016, c’est la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, sœur de Paul Royal, porte-parole de l’association Tavignanu Vivu, qui a souhaité que ce projet ne puisse pas voir le jour. Pourtant, ce projet de stockage de déchets non dangereux dans des casiers étanches et sécurisés (principe de bio méthanisation des déchets avec valorisation énergétique du biogaz) ne manque pas d’atouts. Par un jugement du 3 octobre 2019, le tribunal administratif de Bastia a confirmé la parfaite conformité de ce projet avec les règles du code de l’environnement en autorisant l’exploitation du site. « Tu ne vois rien venir ? » « Petits arrangements entre amis » et « Courage fuyons » La situation se caractérise par l’absurde, les combines et le manque de courage. La Région vote des textes, mais ne les fait pas appliquer. Tétanisés par les réactions des riverains et la pression de certaines associations, les élus brillent par leur sens de la procrastination.
Même si des projets correspondent à des Installations classées (ICPE) qui obligent à se soumettre à une enquête publique, l’opposition de certaines associations est telle que les responsables choisissent de ne rien faire. S’ajoute à ce contexte, le fameux « syndrome NIMBY “Not in my back yard” (“pas dans mon jardin surtout pas chez moi”) qui conduit les élus à refuser toutes solutions ou toutes installations en indiquant d’aller voir ailleurs. Approuvé en 2016 par l’Assemblée de Corse, le “plan déchets” n’a toujours pas débouché sur un véritable projet public de traitement des ordures ménagères. Il se heurte au mécontentement des populations rétives à la création de centres d’enfouissement. Inertie administrative et lenteur du pouvoir politique se conjuguent pour qu’en 2023, la Corse soit sanctionnée par l’Union européenne. L’Office de l’Environnement de la Corse préconise un dialogue avec les communes où sont situés les centres de stockage des déchets, mais il prêche dans le désert. La Corse produit chaque année 305.000 tonnes de déchets, dont 46 % d’origine ménagère. A ce rythme, d’ici 4 ou 5 ans, la Corse ne pourra plus traiter ses déchets. Derrière l’image carte postale, la Corse est frappée par une crise écologique qui interroge les élus et représentants de l’Etat. Incinérateurs, zones d’enfouissement, tri sélectif, fermetures de décharges municipales, multiplication des décharges sauvages : la Corse est à la croisée des chemins.
Île de beauté ou île de saleté ?
Les centres d’enfouissement sont à saturation, les ordures ménagères débordent dans les rues. Les dépôts sauvages se multiplient et les habitants ne cachent plus leur exaspération. Les montagnes de déchets dans des balles plastiques sont non seulement une agression visuelle, une “tache” dans la magnificence des paysages, mais elles favorisent par temps de pluie le ruissellement dans la nature avec les conséquences toxiques sur la mer. Même si le Syvadec (Syndicat de valorisation des déchets de Corse) s’efforce de rassurer en expliquant que les conditions de stockage sont conformes à la réglementation avec des contrôles réguliers, l’inquiétude grandit. “On est revenu au moyen âge”, s’indignent des habitants. Le long des routes, près des habitations, dispersés dans le maquis, ces sacs de couleur turquoise à ciel ouvert envahissent le paysage. La catastrophe écologique tant redoutée est une menace pour l’économie, notamment pour l’industrie touristique. L’avenir de l’île passe par la recherche de solutions qui lui éviteraient de s’enfoncer dans les affres d’un développement mal maîtrisé. “C’est l’heure des choix politiques de technologie, de modes de gestion innovants, économiquement viables et écologiquement performants”, martèle Jean-Paul Villa.