Il y a 12 ans, Michel Kempinski, directeur général de la division environnement de Plastic Omnium décide d’arrêter le pétrole. Les bacs à ordures ménagères seront produits à partir de plastique recyclé. A l’époque, les collectivités territoriales, mais aussi les syndicats et employés trouvent l’idée sympathique, mais émettent des doutes sur la viabilité du nouveau modèle. Aujourd’hui, Michel Kempinski est à la tête de SULO France, 525 salariés, 3 usines, 147,6 millions d’euros de chiffres d’affaires l’an dernier et les bacs sont fabriqués à 85 % à partir de plastique recyclé.
C’était en 2008. Lehman Brothers n’a pas encore fait faillite et la crise financière n’a pas encore éclaté. Mais il y a bien une crise qui tourmente Michel Kempinski. Arrivé il y a deux ans dans le groupe Plastic Omnium, il occupe le poste de directeur général de la division environnement spécialisée dans la fabrication de conteneurs plastique à ordures ménagères. Avec inquiétude, il observe la courbe du prix du pétrole s’envoler. En mars le record de 1986 est battu, le baril se vend à 103,76 dollars. Quatre mois plus tard, il atteint les 141,23 dollars. Ce troisième choc pétrolier ne fait pas les affaires du groupe. Le plastique étant fabriqué à partir du pétrole, si le prix de cette matière fossile s’envole, celui du plastique suit. « Va-t-on être encore longtemps subir ces coups de grisou ? » s’agace alors le directeur général. Sans compter qu’en outre, les producteurs de polymères — granulés qu’achète Plastic Omnium et élément de base pour la fabrication de la matière plastique — sont peu nombreux. Ils se partagent le marché et fixent les prix. « Mon objectif au départ c’était de trouver une solution, pour rendre l’entreprise moins dépendante et la mettre à l’abri de perturbations extérieures qu’elle ne peut contrôler. J’en ai forgé une conviction profonde : on ne pouvait plus continuer à produire à partir de matières fossiles », relate Michel Kempinski.
Des conteneurs en plastique recyclé
Quant aux alternatives au pétrole, il n’a en 2008 aucune certitude. Il mobilise alors les équipes de R&D sur deux chantiers. Un groupe regarde ce qui se fait en matière de plastique recyclé. « On fabriquait déjà un peu avec du recyclé, mais à titre expérimental. Toutefois, nous ne partions pas de rien et avions quelques contacts auprès d’entreprises et de laboratoires » précise l’ex-directeur général. Une seconde équipe s’intéresse aux matières premières amènes de remplacer le pétrole : bois, bambou, pomme de terre, jusqu’à la canne à sucre. Cette dernière option a été abandonnée trois ans plus tard. La matière première est très chère, de 25 % à 30 % plus onéreuse que le pétrole. Tous les efforts se concentrent alors sur le recyclé avec un objectif : fabriquer à terme tous les conteneurs en plastique recyclé. « Aujourd’hui, en moyenne nos bacs sont à 85 % en matière recyclée. Pour certaines couleurs, notamment le rouge, nous avons besoin encore de la matière vierge. Mais, nous sommes très proches de trouver la solution et d’atteindre le 100 % », poursuit Michel Kempinski, devenu en 2017, le président de SULO France quand le groupe Plastic Omnium s’est séparé de son activité « environnement » pour se recentrer sur le secteur automobile.
L’entreprise française a dès lors continué son chemin au sein du groupe mondial SULO qui se présente aujourd’hui comme « un acteur de l’économie circulaire ». « Notre modèle, notre savoir-faire acquis depuis 2008 ont été exportés dans différentes usines du groupe. A Hanovre, ils partaient de zéro, et leurs produits sont maintenant fabriqués à 75 % à partir de matière recyclée », déclare fièrement Michel Kempinski.
Pas plus chers
Toutefois, ce changement de modèle a été un long chemin. Il a fallu investir, tester et surtout convaincre. Il y a 10 ans, quand Michel Kempinski parlait de recyclage et d’économie circulaire — « nous récupérons les déchets triés par les habitants pour fabriquer de nouveaux conteneurs qui se retrouveront dans leur ville » — les collectivités territoriales trouvaient le sujet au mieux « sympathique ». Même accueil au sein du groupe de la part des syndicats comme des employés. Le sujet n’était pas à la mode. On ne citait pas encore le sociologue Antonio Gramsci à tout bout de champ : « la crise c’est le monde d’hier qui se meurt et le nouveau qui peine à apparaître ». Il n’y avait pas de Convention composée de citoyens tirés au sort et chargés de réfléchir à un nouveau modèle économique économe en ressources et moins polluant. Ni de loi sur l’économie circulaire (elle a été publiée dans le Journal officiel le 11 février dernier) ni de plan de relance consacrant 30 milliards d’euros à la transition écologique, dont une enveloppe de 500 millions pour l’économie circulaire (recyclage, tri et valorisation des déchets). A l’époque, le recyclé avait mauvaise réputation : « des bacs qui vont sentir la lessive, non merci ! ».
Pour que le modèle soit viable, il était nécessaire que les bacs en plastique recyclé soient de qualité équivalente à ceux faits à partir de plastique vierge — « ils ne doivent pas casser par -30 C°, ni ramollir par plus de 35 C°, et résister à un certain nombre de chocs » précise le président de SULO France. En outre ces nouveaux produits ne devaient pas être plus chers que ceux d’hier. « Dans les marchés publics, le prix pèse encore entre 60 % et 70 % de la note finale », ajoute-t-il. Les équipes de R&D et celles de production dans les ateliers ont travaillé ensemble sur une méthode et processus pour parvenir à obtenir des produits de qualité. Les usines, notamment celle de Langres en Haute-Marne, ont été modernisées. Des machines pour tester la qualité des granulés arrivant à l’usine, les nettoyer et les trier selon les couleurs ont été achetées. « Ces investissements sont en général amortis au bout de 6 à 12 mois », explique Michel Kempinski. Donc rien d’insurmontable ! Mais pour le président de SULO France, l’argent n’est pas un obstacle. Ce qui importe c’est la volonté et l’audace. « Le rôle d’un dirigeant c’est d’observer, d’être à l’écoute de ce qui se passe, d’analyser les tendances. Il en construit une vision, ensuite il doit se donner le temps et les moyens pour accomplir la transformation. Il ne faut ni partir dans tous les sens ni paniquer à la moindre embûche. Il faut garder le cap », conclut-il.