Nous sommes entrés dans une nouvelle dimension, celle du « full credit » ou de « l’open-bar. » Les barrières comptables semblent s’être évanouies. Tout est possible.
Les critères de Maastricht ont été jetés avec l’eau du bain. Jour après jour, les gouvernements égrènent des plans de soutien de plusieurs milliards d’euros afin de sauver telle entreprise ou tel secteur. Les effets d’annonce sont impressionnants et masquent parfois un jeu de bonneteau avec les dépenses engagées. Dans ce monde nouveau, la règle de conduite à tenir est de profiter au plus vite des largesses publiques avant la fermeture du bar dont l’heure n’a pas été encore fixée. Cet argent facile est censé résoudre la crise née du Covid-19, mais aussi tous les problèmes en suspens : la transition énergétique, la dépendance, la modernisation du système de santé, etc.
Cette inflation de besoins réprimés durant des années, faute de moyens, n’est pas un gage d’efficacité. En économie, il reste peut-être encore quelques règles dont celle de l’économiste de Tinbergen en vertu de laquelle un État doit posséder autant d’instruments que d’objectifs déclarés. En ces temps d’urgence, les pouvoirs publics semblent oublier que l’efficience devrait être le fil conducteur de leur action. L’argent facile est souvent mal utilisé, car il n’est pas le produit d’un dur labeur. Il génère des effets d’aubaine et des effets de rente. Les bénéficiaires ne sont pas toujours ceux qui en ont le plus besoin. C’est la loi du genre.
Quoi qu’il en soit, après l’inondation, le fleuve devra retrouver son lit. Le retour de l’argent rare sera une source d’étonnement, d’incompréhension et peut-être de colère. L’open-bar ne sera pas éternel. La monétisation des dettes publiques a ses limites. Elles s’appellent inflation, dépréciation monétaire ou encore banqueroute. Certains estiment que l’annulation par les banques centrales des dettes qu’elles détiennent sur les États est la voie logique à suivre.
De manière plus prosaïque, cette méthode est une banqueroute déguisée.
En Europe, l’Allemagne et les États du Nord ne sacrifieront pas la monnaie pour sauver indéfiniment le Sud. Certes, le retour de la croissance et de l’inflation serait bienvenu et permettrait, comme après la Seconde Guerre Mondiale, de dégonfler de manière indolore la dette accumulée depuis une quarantaine d’années. A défaut, la voie choisie est de gagner du temps, de pousser le rocher de dettes un peu plus loin. Le problème est que malgré des faibles taux d’intérêt, ce dernier tend à grossir de plus en plus vite, chargeant de son poids croissant les futures générations. Avec la réduction des gains de productivité, nous achetons la croissance à crédit ; avec la crise sanitaire, nous sommes même arrivés à acheter l’absence de croissance.
Devant les montagnes à financer que sont notamment la dépendance et les retraites, la question des déficits et de leur financement semble être ouverte pour quelque temps. La seule solution serait un bon de croissance qui, à preuve du contraire, ne peut se réaliser que sous la forme d’un cocktail associant travail, capital et progrès technique.