Depuis les années 1980, la finance sociale s’est développée dans les pays européens. Les institutions financières sociales incluent les fondations, les institutions de microfinance (IMFs), les plateformes de financement participatif, les coopératives de crédit, ou encore les banques sociales ou éthiques. Leurs modes opératoires sont très variés : les fondations réalisent des dons, alors que les banques sociales octroient des crédits, à l’image des banques traditionnelles. Les institutions financières sociales prennent leurs décisions d’investissement et de financement en s’appuyant sur trois critères : social, environnemental et économique.
C’est seulement après la crise économique de 2008 que le secteur a reçu une réelle attention du grand public. Alors que plusieurs grandes banques ont fait faillite ou ont subi des pertes financières importantes, les banques sociales ont connu une croissance inédite durant cette période.
Comment s’explique cette forte résilience, voire cette tendance contracyclique ? La finance sociale propose un modèle alternatif, à l’opposé des transactions spéculatives, qui ont été un des facteurs à l’origine de la crise de 2008. Le modèle de la finance sociale se construit autour de trois piliers majeurs : la responsabilité sociale, la transparence et la pérennité. Il s’agit d’un marché de niche qui propose des produits, tels que le crédit, l’épargne, l’assurance, le transfert d’argent, l’accompagnement, qui sont faciles à comprendre et à contrôler.
Soutenir un projet économique viable
Il y a au moins deux différences majeures entre les banques sociales et les banques traditionnelles. D’abord, les clients ciblés par les banques sociales sont principalement des entreprises sociales dont les activités se concentrent sur la lutte contre la pauvreté ou en faveur du commerce équitable, des énergies renouvelables, de l’éducation, etc. Ensuite, les taux d’intérêt pratiqués pour les prêts des banques sociales sont généralement inférieurs à ceux des banques classiques. Ceci est rendu possible par le fait que les investisseurs attirés par les banques sociales acceptent une rémunération plus faible de leur capital afin de faciliter l’accès au crédit des entreprises sociales.
Les IMFs soutiennent les exclus financiers ayant un projet économique viable. Les bénéficiaires de microcrédit sont souvent des chômeurs, des femmes en difficulté économique, des immigrés qui se proposent de créer des micro-entreprises. Ces emprunteurs sont généralement considérés comme trop risqués par les banques classiques.
Attirer les financeurs privés et les épargnants motivés
Quel avenir pour la finance sociale ? Comme les banques commerciales, les IMFs à vocation sociale font face à l’asymétrie d’information qui signifie que les clients possèdent une meilleure information sur leurs caractéristiques et leurs actions, comparée à la banque. Dans ces circonstances, le subventionnement public est souvent nécessaire pour pouvoir offrir des prêts à des taux raisonnables. Le régulateur soucieux du bon usage des deniers publics aura alors tendance à imposer une régulation spécifique. Cependant, une régulation inadaptée peut s’avérer néfaste. Par exemple, une limite supérieure sur la taille des prêts peut pousser les clients vers le co-financement bancaire et de là favoriser les clients plus aisés[1]. La régulation peut aussi réduire l’offre de produits proposés en faisant de la collecte de l’épargne un monopole bancaire. Enfin, le cadre réglementaire impose souvent des contraintes sévères en matière de reporting.
L’accès au financement reste donc un enjeu majeur pour la finance sociale, qu’il émane d’investisseurs motivés par la fonction sociale des banques sociales ou de subventions publiques ou de dons pour la microfinance. Ces sources de fonds sont toutefois volatiles. La capacité d’attirer les financeurs privés et les épargnants motivés reste un enjeu majeur de la pérennisation du modèle économique de la finance sociale.
[1] Cozarenco, A., & Szafarz, A. (2018). Gender biases in bank lending: Lessons from microcredit in France. Journal of Business Ethics, 147(3), 631-650.
Dr. Anastasia Cozarenco, Professeur en économie à Montpellier Business School, titulaire de la Chaire Microfinance dans les pays développés, fondée en partenariat avec la Caisse d’Epargne Languedoc Roussillon et directrice du Yunus Centre
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