La coutume veut que, quand on a un problème, on se mette autour d’une table, on en discute et on règle le problème. Entre gens de bonne volonté, on arrive toujours à trouver une solution. Et si cette idée, qui a la peau dure, était une sottise ?
Lors d’une animation récente, à propos d’une problématique sur laquelle avait travaillé un groupe, j’ai interrogé les participants. L’un d’eux s’est montré agacé en confessant qu’avant la séance, il était certain de sa position, mais qu’à présent, il ne savait plus quoi penser. J’ai pris ça, de mon côté, comme un gage de la qualité du travail groupal. Plus de complexité, plus de nuances, moins de certitudes me semblent être les signes d’une avancée vers plus d’intelligence.
Le point médian
Ce n’est pas toujours ce qu’il se passe avec les groupes. Dans « Vous allez redécouvrir le management », Olivier Sibony rappelle que les groupes, en général, ont des positions plus radicales après avoir discuté ensemble. Ils arrivent à une sorte de position commune et unanime, mais pas nécessairement pour les meilleures raisons. Des chercheurs ont identifié qu’un indicateur de prédiction est de regarder ce que pense au départ « le point médian ». Autrement dit, on classe les personnes par avis, et on regarde ce que pense la personne au milieu. Le groupe se range généralement à la position de point médian, qui est aussi la position de la majorité. Parce que nous avons tendance à nous ranger à ce qui nous semble être une norme sociale, parce qu’on entend dans ce groupe plus d’arguments en faveur du blanc, alors le groupe devient blanc tout entier. Or, comme l’a dit Coluche : « Ce n’est pas parce qu’ils sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison ! »
Mais ces expériences — qui ne décrivent pas le fonctionnement de tous les groupes — omettent de prendre en compte la façon dont les groupes ont débattu. Ceci nous ramène aux leçons de rhétorique (voir cet article sur les règles du débat), qui disent en creux qu’un débat non structuré n’aboutit à rien, sinon au spectacle désolant d’une polarisation extrême, voire d’un clash. Qui dit polarisation, dit en effet blanc ou noir et, comme aux échecs, dit qu’il y aura un gagnant auquel se ralliera le groupe et un perdant. Or, la plupart des débats ne sont pas structurés : entre nous, pas la peine de mettre des règles, on est assez grands pour discuter calmement. Pour discuter, peut-être, mais sans doute pas pour s’écouter, pour laisser infuser en nous les arguments de l’autre, les laisser nous influencer, nous donner le temps de les digérer pour faire une vraie réponse, à la fois construite et constructive.
Se conformer à une structure
Ceci nous rappelle que nous acceptons difficilement le fait que nous fonctionnons avec des biais, avec des préjugés, et que c’est en nous conformant à une structure, que nous pouvons nous en affranchir, au moins en partie, pour finalement retrouver plus de liberté. Olivier Sibony ne dit pas autre chose quand il conclut que, « pour prendre de bonnes décisions […], il suffit donc de s’entourer de gens qui ne pensent pas comme vous, et de s’assurer qu’ils s’expriment. » De s’assurer qu’ils s’expriment, c’est-à-dire de mettre des règles pour que chacun ait son temps de parole sans être interrompu par d’autres, que la parole de chacun, fût-elle minoritaire, soit également entendue.
Décider d’organiser les réunions pour qu’elles fonctionnent autrement que comme les débats débridés que nous avons toujours vus, ce n’est pas seulement œuvrer pour plus d’efficacité ; ce n’est pas seulement renoncer à la paresse de l’inorganisation ; ce n’est pas seulement ne plus céder à une sorte d’utopie anarchiste. C’est d’abord œuvrer à construire plus d’intelligence dans les groupes. Dans les groupes à notre échelle d’abord puis, de proche en proche, dans de plus en plus de groupes et, enfin, à une échelle collective beaucoup plus vaste. Œuvrer pour de meilleures décisions aujourd’hui nous conduit à œuvrer à une meilleure société demain. Et nous savons que ce sera nécessaire pour affronter les défis qui nous attendent.