LE POINT ECO – Le krach financier tant redouté a eu lieu sous forme de deux lames. La première s’est produite le lundi 9 mars sur fond de guerre du prix de pétrole ; la seconde, le jeudi 12 après les annonces de Donald Trump de fermer le territoire des Etats-Unis aux transporteurs de passagers avec les Etats de l’Union européenne, et la déception occasionnée par les décisions de la BCE. Vendredi, les cours étaient à la hausse. Les investisseurs se sont délestés de leurs actions par crainte d’une récession forte avec un risque de montée du protectionnisme. La difficile mise en œuvre d’une coordination internationale a aussi contribué à ce vent de panique.
Le CAC 40 a connu le plus fort recul de son histoire avec un recul de 12,25 %. En un mois, il a perdu un tiers de sa valeur. Il a effacé tous les gains enregistrés depuis l’année 2016 qui avait été marquée par la forte baisse du cours du pétrole. En fonction de l’évolution de l’épidémie et des annonces gouvernementales, les marchés peuvent connaître encore plusieurs coups de tabac et rester très volatils.
Vendredi 13 mars, les marchés européens n’ont connu
pas connu le rebond espéré. Ils ont avant tout stabilisé leurs positions, aidés
en cela par les annonces de la Commission de Bruxelles indiquant clairement que
les Etats européens ne seraient pas tenus de respecter les 3 % de PIB de
déficit en 2020. La Commission s’est également engagée à soutenir l’économie
des Etats membres. Le CAC 40 n’a repris vendredi que 1,83 %. En revanche,
le rebond à New York, les indices « actions » après la déclaration de
l’état d’urgence par Donald Trump ont fortement progressé, +9,36 % pour le
Dow Jones et +9,34 % pour le Nasdaq.
Dette publique, la France attaquée
La semaine a été marquée également par un changement sur les dettes souveraines avec l’augmentation de l’écart de taux entre la France et l’Allemagne. Le taux de l’OAT à 10 ans français est redevenu positif et est supérieur de 540 points de base à celui de l’Allemagne. La France suit dorénavant les taux italiens, certes à distance. Le taux de l’obligation à 10 ans italien a atteint vendredi 13 mars s’élevait à 1,8 % contre 0,8 % avant le début de l’épidémie. Les investisseurs craignent le dérapage des finances publiques dans les prochains mois pour des pays qui sont déjà fortement endettés.
Le pétrole sur tous les fronts
Le baril de pétrole a perdu 25 % dans la semaine. Compte tenu du ralentissement de l’économie mondiale, la demande en pétrole actuelle et à venir est orientée à la baisse. Pour éviter une baisse trop importante des cours, les pays de l’OPEP avaient souhaité renégocier l’accord de régulation de la production en vigueur depuis la fin de l’année 2016, accord auquel la Russie était jusqu’à maintenant partie prenante. Cette dernière a refusé le durcissement des quotas de production. Elle souhaitait le simple maintien de la réduction de 2,1 millions de barils jour. Si aucune solution n’est trouvée, l’accord de régulation deviendra caduc d’ici la fin du mois de mars, ni l’OPEP ni les non-membres n’étant alors soumis à des restrictions de production. À partir du mois d’avril, l’Arabie saoudite pourrait ainsi augmenter sa production d’un million de barils jours à 11 millions de barils jour. Le Royaume saoudien s’engagerait dans une guerre des tarifs comme en 2014. À l’époque, le prix du baril était tombé à 26 dollars. La chute pourrait être encore plus brutale en raison des risques de récession que le coronavirus fait peser sur l’économie mondiale. Par sa décision, l’Arabie saoudite tente de faire pression sur la Russie qui a besoin d’un baril de pétrole à 60 dollars pour son économie et ses finances publiques. Depuis le 31 décembre, la baisse atteint près de 50 %.
Cantonnée du mois de novembre à février à la Chine, voire à une région de Chine, la diffusion rapide du coronavirus semble avoir pétrifié dans un premier temps les pouvoirs publics. L’absence de précédent et les interrogations sur sa dangerosité expliquent le retard pris au début de la crise. Dans un premier temps, la crainte d’apeurer la population et d’affoler les marchés a certainement joué. L’accumulation de mauvaises nouvelles en provenance d’Italie et la multiplication des décès ont changé la donne en ce milieu de mois de mars. La crise est devenue totale sanitaire, économique (offre, demande) et financière.
Les dirigeants des différents pays sont tenaillés entre la mise en œuvre de politique à tendance nationaliste et la nécessité de jouer sur la coordination et la coopération internationale. Face aux défis de santé publique, le chacun pour soi a d’abord été de mise. En fin de semaine, plusieurs initiatives ont été prises par de nombreux Etats et organismes internationaux afin de limiter l’impact économique et social de cette crise sans précédent.
L’Etat d’urgence aux Etats-Unis
Vendredi 13 mars, le Président américain Donald Trump a décrété l’état d’urgence nationale. Cette décision permet de débloquer près de 50 milliards de dollars en faveur des Etats pour faire face à l’épidémie. L’action sera ainsi coordonnée par la Federal Emergency Management Agency (Fema), qui a l’habitude de venir en aide aux victimes d’ouragans et d’inondations. L’agence pourra assister les autorités locales. L’état d’urgence permet aussi aux hôpitaux de contourner certaines restrictions pour faire face à la situation.
L’Allemagne sort du bois
Les ministres allemands de l’Economie et des Finances, Peter Altmaier et Olaf Scholz, ont déclaré que « toutes les armes sont sur la table » et que « nous ferons tout ce qui est nécessaire pour protéger les entreprises et les emplois ». Ils ont prévenu que les mesures coûteront « des dizaines de milliards d’euros ». La possibilité de recourir à l’endettement n’est plus un tabou. Comme en France, l’objectif est d’assurer les acteurs économiques du soutien déterminé du gouvernement pour qu’ils maintiennent leur activité. Le dispositif de chômage partiel qui avait bien fonctionné en 2008, est réamorcé. Un bouclier en faveur des entreprises a été adopté. Il prévoit des facilités fiscales, notamment des reports d’impôts à hauteur de plusieurs milliards d’euros, mais aussi et surtout un programme illimité de crédits pour assurer la liquidité des entreprises. Une enveloppe de 500 milliards d’euros de crédits sera dégagée. L’idée de nationaliser des entreprises en difficulté est également prévue pour éviter un effet domino au sein des secteurs stratégiques.
La France, la santé publique, les entreprises et l’emploi
En France, le Président de la République a annoncé, lors de son intervention jeudi 12 mars, que la priorité était la santé publique. Le Premier Ministre, le 14 mars a placé la France en phase 3 avec la fermeture des commerces (hors pharmacien, alimentation et tabacs) Il a également souligné que le Gouvernement veillerait à soutenir l’économie pour éviter une paralysie du pays et pour faciliter la reprise. Plusieurs mesures économiques exceptionnelles sont prises afin d’atténuer les effets de la crise pour les entreprises et les salariés. Ainsi, les entreprises qui le souhaitent pourront également « reporter sans justification, sans formalité, sans pénalité, le paiement des cotisations et impôts dus en mars ». Le chômage partiel sera facilité avec une prise en charge possible de l’Etat. 5 117 entreprises ont déjà demandé à bénéficier du chômage partiel pour un total de 80 000 salariés et un coût de 242 millions d’euros selon le Ministre de l’Economie. Ces nombres devraient augmenter fortement dans les prochains jours. Jusqu’à présent, le chômage partiel était indemnisé pour le salarié à hauteur de 70 % du salaire brut et 84 % du salaire net. La prise en charge par l’Etat n’était effectuée qu’à hauteur du Smic. Le Président de la République a indiqué le dispositif serait déplafonné. Emmanuel Macron a également promis la mise en place d’un plan de relance national et européen et a indiqué que la dégradation des comptes publics était inévitable. En l’état de la situation financière, il est difficile d’apprécier le coût de la crise. Ce dernier sera fonction de la durée de l’épidémie et de son ampleur.
La suspension de la règle des 3 %
En Europe, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a garanti vendredi une « flexibilité maximale » dans l’application des règles communautaires sur les déficits et sur les aides d’Etat. Elle a porté à 37 milliards d’euros le montant du fonds européen de soutien aux entreprises.
Les banques centrales à la manœuvre
Les banques centrales ne peuvent pas tout, mais elles sont des acteurs clefs dans cette crise. En tant que banquiers en dernier ressort, elles doivent calculer au mieux leurs décisions en fonction des besoins des économies sachant qu’elles ont notamment comme missions d’assurer la liquidité ainsi que la pérennité de la sphère financière. Leurs décisions sont décortiquées en temps réel par les investisseurs au point de surréagir.
Après avoir baissé de 0,5 point ses taux directeurs la semaine dernière, la Fed a annoncé jeudi 12 mars qu’elle injecterait un total de 1 500 milliards de dollars en trois tranches pour éviter des perturbations inhabituelles sur le marché. Les investisseurs anticipent, par ailleurs, une nouvelle baisse des taux directeurs américains mercredi prochain.
La réunion de la Banque centrale européenne du jeudi 12 mars était attendue après celle de la FED de la semaine dernière qui avait abouti à une diminution des taux de 0,5 point. Il y a quelques jours, Christine Lagarde avait affirmé face aux chefs d’Etat et de gouvernement européens que la Banque centrale européenne était prête à utiliser tous les outils à sa disposition pour limiter, autant que possible, les conséquences économiques de l’épidémie de coronavirus. Contrairement aux attentes de nombreux investisseurs, la BCE a décidé de maintenir inchangés ses taux. Le taux de dépôt reste ainsi fixé à -0,5 %, ce qui constitue un niveau bas historique. Elle a, en revanche, annoncé des mesures en faveur du système bancaire et des Etats souverains. Ainsi, la BCE offrira aux banques commerciales de nouveaux prêts et des taux encore plus favorables sur les liquidités mises à leur disposition, et elle envisage d’ajouter une enveloppe supplémentaire pour ses achats d’actifs sur les marchés de 120 milliards d’euros d’ici la fin de l’année, ce qui devrait faciliter le financement des Etats. En injectant ces liquidités, la banque centrale devrait maintenir à des niveaux très bas les coûts d’emprunt des Etats et des entreprises. Cette augmentation n’est pas sans poser des problèmes. En effet, elle ne peut pas acheter plus d’un tiers d’une ligne d’obligation émise par un Etat. Comme la dette de l’Allemagne s’est réduite ces dernières années, la BCE risque d’atteindre assez rapidement ce plafond sachant que la répartition des rachats est proportionnelle aux poids des Etats de la zone euro. Les décisions de la BCE ont été mal comprises par les investisseurs qui souhaitaient une baisse des taux.
Or, actuellement, la crise du coronavirus fait peser plutôt un risque de solvabilité tant pour les administrations publiques que le secteur privé. Les taux sont déjà à un niveau extrêmement bas. Les entreprises ne se lanceront pas dans des investissements importants tant que l’épidémie ne sera pas jugulée. L’important est de passer le cap de la crise sans tensions financières importantes. Dans ce contexte, la BCE a fait preuve de sagesse et de courage. La décision de la FED de baisser ses taux n’a eu qu’un effet passager et n’a pas empêché la forte baisse des marchés constatée depuis lundi 9 mars. François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France et membre du conseil de la BCE, a déclaré vendredi 13 mars sur Radio Classique que « s’il y a des risques de fragmentation dans la zone euro nous utiliserons toutes les flexibilités possibles. Nous l’avons déjà fait dans le passé et le ferons à l’avenir chaque fois que cela est nécessaire ». Par ce discours, il confirme le rôle de banquier en dernier ressort de la BCE.
La banque centrale norvégienne a annoncé également vendredi une baisse surprise de 50 points de base de son principal taux directeur à 1 %. Pour enrayer la chute des marchés, vendredi 13 mars, la Banque du Japon a injecté des liquidités sur le marché bancaire et offert de racheter 1,9 milliard de dollars d’obligations. Elle a par ailleurs annoncé l’achat de plus de 101 milliards de yens (10,4 milliards de dollars) d’ETF (trackers qui répliquent les indices boursiers).