Inauguré en juin 2019 non loin de Bastille à Paris, l’Ascenseur regroupe vingt associations qui œuvrent pour l’égalité des chances. Reportage au sein d’un bâtiment qui fleure bon les valeurs de la République.
« À chaque génération, pour chacun de ses enfants, la République réitère ce serment qui la fonde : chacun doit avoir une égale liberté d’accès à l’éducation, à l’emploi, et à la culture, sans biais lié à son origine sociale, territoriale ou ethnique. » Ce sont les premiers mots du manifeste de l’Ascenseur, un bâtiment – et bientôt une association —, situé en plein Paris abritant vingt structures œuvrant pour que ce serment s’inscrive dans la réalité de notre pays. Et, selon Benjamin Blavier, coprésident de l’association Article 1, à l’origine du projet, on en est loin. « Nous ne sommes pas à la hauteur de l’enjeu ; le poids de l’origine sociale dans l’accès à l’emploi est encore prépondérant, ce qui génère une désespérance de la jeunesse, notamment celle issue des quartiers prioritaires. Il y a une urgence absolue à travailler sur la question de l’inclusion et de l’équité dans l’accès aux études et à l’emploi ». Et pour gagner en efficacité et en visibilité, l’idée de se rassembler au même endroit s’impose peu à peu. Un effet d’opportunité va faire le reste.
Au cœur de Paris
Au départ, il y a une fusion entre deux associations de lutte contre l’inégalité des chances, Passeport avenir et Frateli, qui donne naissance à Article 1. Le regroupement nécessite un déménagement pour trouver des locaux adaptés. Deux autres structures, Mozaik RH et l’Institut de l’engagement, autres poids lourds du secteur, se greffent au projet. Et au final, grâce à l’intervention de BNP Paribas qui va soutenir la démarche et convaincre le propriétaire, c’est un bâtiment entier qui est retenu donnant lieu à une recherche de colocataires – notamment des lauréats de la France s’engage, la fondation dirigée par François Hollande — puis à un appel à candidatures. Objectif : rassembler dans un même endroit des associations qui interviennent auprès d’un public jeune et adulte faisant face à des discriminations liées à leur origine sociale, culturelle ou ethnique, ou qui ont rencontré des obstacles particuliers au fil de leur parcours. Leurs périmètres d’action couvrent aussi bien l’éducation, la culture, le sport, l’emploi, l’entrepreneuriat que l’engagement associatif. « On ne voulait pas s’installer dans un quartier prioritaire, mais au cœur de Paris, là où se trouvent les personnes que l’on souhaite convaincre. L’immeuble est haussmannien, il répond aux codes classiques de la République et il envoie à nos bénéficiaires le message qu’ils ont le droit d’être là. Et puis le génie de la Bastille, c’est symbolique puisqu’il prend son envol pour briser ses chaînes », précise Benjamin Blavier.
Un écosystème de l’égalité des chances
L’Ascenseur a été officiellement inauguré en juin 2019. Mais les associations commencent à s’y installer dès l’automne-hiver 2018. Il en va ainsi de Time2start, une structure qui accompagne gratuitement des porteurs de projet issus des quartiers, à passer de l’idée d’une entreprise à un business model solide. Les personnes retenues suivent notamment une série de formation. En ce jeudi de février, une ancienne participante anime un atelier sur les réseaux sociaux. « Il y a peu de temps, j’étais à votre place, mais dans une salle beaucoup moins sympa », dit Dounia Oughite devenue consultante social media. Et c’est l’un des avantages de l’Ascenseur : mutualiser des équipements de qualité. Davelyne Damie est l’une des porteuses de projet accompagnées ; elle se rend une fois par semaine à l’Ascenseur et commente : « on travaille de plus en plus dans des espaces de co-working, on est en quête de synergie. L’Ascenseur, c’est la même démarche, mais pour des organisations ». Synergie ! Le mot est repris à l’envi par plusieurs colocataires. Hawa Dramé, déléguée générale de Time2Start et unique salariée, témoigne : « j’ai candidaté pour m’installer à l’Ascenseur, car j’étais en recherche de synergies avec d’autres associations porteuses de valeurs similaires, et je voulais sortir de mon isolement. Plus on est nombreux à œuvrer sur un même sujet, plus on a de l’impact. Et puis, le lieu est accessible, on touche du coup plus de monde ».
La visite de plusieurs personnalités grâce à la notoriété de certaines associations a de fait mis un coup de projecteur sur les plus petites structures qui ont ainsi gagné en visibilité, mais aussi en conseils et en crédibilité. « Face à nos financeurs, à nos partenaires, nous sommes plus légitimes. Et puis, cela permet de prendre du recul par rapport à nos pratiques et de récolter des conseils et des contacts », ajoute Hawa, qui participe régulièrement au comité de pilotage mensuel qui rassemble toutes les structures. « Nous y faisons le point sur les dépenses, sur la vie de l’immeuble, sur la répartition des tâches ou la recherche de financements pour pouvoir payer des travaux au rez-de-chaussée », détaille Sylvie Desquesnes, l’une des quatre personnes à travailler pour l’Ascenseur. Une initiative parmi d’autres que l’équipe compte bien développer en multipliant les temps de rencontres et d’échanges : des petits déjeuners thématiques animés à chaque fois par une association, des expositions, des animations… Mais ce QG de l’égalité des chances reste également ouvert sur l’extérieur, associations comme entreprises. Outre la location des salles, « nous voulons construire un écosystème de l’égalité des chances, au-delà des vingt structures présentes. L’idée, c’est de faire grandir les acteurs en bénéficiant des expertises des uns et des autres, en répondant ensemble à des appels à projets… Nous accompagnons, par ailleurs, des associations qui sur d’autres territoires souhaitent développer un projet similaire à l’Ascenseur », explique Benjamin Blavier.
Impact et ambition
Une étude est déjà programmée pour évaluer l’impact de l’Ascenseur. Mais d’ores et déjà, les colocataires semblent unanimes pour souligner l’esprit d’entraide qui y règne. « Il suffit de passer la porte pour poser une question à une association, demander un conseil sur un dossier de financement ou échanger sur des bonnes pratiques surtout avec les structures qui sont au même étage que nous », explique Etienne Drapeau, salarié à la Cravate solidaire, située au 7e étage de l’immeuble qui en compte huit. Bref, le bilan semble pour l’instant positif et les nombreux salariés et bénévoles qui se croisent, divers comme l’est la société française, contents de participer à cette aventure. « Avant, chacun était dans son coin, ce qui rendait nos actions moins lisibles et entretenait de potentielles rivalités. Aujourd’hui, nous construisons un collectif et il y a une meilleure compréhension de la thématique de l’égalité des chances chez les financeurs et dans les médias. Nous sommes au début du projet, mais nous avons pour ambition de devenir un lieu d’interpellation des pouvoirs publics, des dirigeants d’entreprise… et d’innovation sociale », conclut Benjamin Blavier.