Simone Weil appartient à ces très rares philosophes qui ont partagé la condition des ouvriers de leur époque. Pour elle, la philosophie ne se résume pas à une somme de connaissances et de réflexions sur la vie, le monde, le moi… mais sert avant tout à être dans la vérité. Dans ce texte extrait de son ouvrage majeur, Simone Weil explique l’importance des collectivités humaines.
« On doit du respect à une collectivité, quelle qu’elle soit – patrie, famille ou tout autre – non pas pour elle-même, mais comme nourriture d’un certain nombre d’âmes humaines.
Le degré de respect qui est dû aux collectivités humaines est très élevé, par plusieurs considérations.
D’abord, chacune est unique, et, si elle est détruite, n’est pas remplacée. Un sac de blé peut toujours être substitué à un autre sac de blé. La nourriture qu’une collectivité fournît à l’âme de ceux qui en sont membres n’a pas d’équivalent dans ‘univers entier.
Puis, de par sa durée, la collectivité pénètre dans l’avenir. Elle contient de la nourriture, non seulement pour les âmes des vivants, mais aussi pour celles d’êtres encore non nés qui viendront au monde au cours des siècles prochains.
Enfin, de par la même durée, la collectivité a ses racines dans le passé. Elle constitue l’unique organe de conservation pour les trésors spirituels amassés par les morts, l’unique organe de transmission par l’intermédiaire duquel les morts puissent parler aux vivants. Et l’unique chose terrestre qui ait un lien direct avec la destinée éternelle de l’homme, c’est le rayonnement de ceux qui ont su prendre une conscience complète de cette destinée, transmis de génération en génération. »
Simone Weil, L’enracinement, Gallimard, 1990.