Issue d’une famille touarègue de la tribu des Kel Ansar, Allama est originaire de la région de Tombouctou au Mali. Elle a crée ProPhaMedDis qui compte 10 salariés, principalement des étudiants et élèves infirmiers. À 26 ans, l’étudiante-entrepreneure a déjà accumulé beaucoup d’expériences. Une tradition familiale.
Sa vie a basculé en février 2012. La clinique médicale de son père est pillée et saccagée. Avant que leur maison ne soit incendiée, toute la famille fuit la commune de Kati, située à 15 kilomètres de Bamako. La reconquête du nord du Mali par l’armée malienne fait de la famille Elmehdi, des Touaregs sédentarisés, une cible pour les militaires, les milices communautaires et la population. Allama se réfugie en Mauritanie, chez son oncle. Dans le dénuement le plus complet, la jeune fille n’a qu’une obsession : réussir ses études et monter une entreprise. Elle a en tête ce que lui a dit son père avant de partir pour Paris. « Les événements nous rendent plus forts, il ne faut pas se laisser abattre ».
L’esprit d’entreprise
Haletine, son grand frère a dû abandonner ses études pour venir l’aider. Elle serre les poings et s’invente un destin avec la lecture et le savoir. Depuis ses stages de gestion dans la clinique familiale, elle sait aussi qu’elle veut appliquer ce qu’elle apprend avec facilité, elle veut « monter sa boîte », condition de la liberté et de l’autonomie pour une jeune Touareg. « J’ai eu la chance de bénéficier d’une double culture touarègue et bambara, conjuguée à une culture francophone, mais aussi et surtout cet esprit d’entreprendre légué par mon père, pharmacien d’état diplômé au Mali et ma mère enseignante et artisane qui ont bâti leur propre complexe médical. Mes parents m’ont appris la tolérance, la recherche de l’excellence et le travail ».
Aujourd’hui, elle est étudiante en 6ème année de médecine à Nouakchott en Mauritanie et… chef d’entreprise. « Une étudiante qui entreprend, c’est un mythe qui fait peur ici, les gens se disent : elle n’aura pas le temps. On peine à trouver des clients. Je suis tombée, je me suis relevée ». ProPhaMeDis est une jeune entreprise internationale qui, après s’être fait connaître en marketing de l’industrie pharmaceutique soutenu par Laborex (grossiste en pharmacie) s’est diversifiée vers la distribution et la formation continue du personnel de la santé tant médical que paramédical. « Nous sommes présents en Mauritanie et au Sénégal, mais aussi au Mali, au Niger et au Burkina Faso par une agence-conseil A2CM Agence dont le fondateur et dirigeant est grand ami et pratiquement un grand frère pour moi, il m’a toujours apporté son soutien ».
Inculquer l’entrepreneuriat
Ses clients sont anglais, allemands, espagnols et français. Elle travaille avec les Laboratoires Paul Hartmann, son premier partenaire et des groupes comme Pharma Plus ou Innovatouch et les laboratoires Château Rouge et Fushima Pierrot. Quand on lui fait remarquer qu’au-delà du business, son entreprise mène une vraie mission de service public, elle manifeste une émotion, « J’ai pris conscience des difficultés avec lesquelles les médecins sauvent les vies en Afrique et des difficultés que nos concitoyens ont à accéder aux soins ». Aussi a-t-elle été approchée par les pouvoirs publics. « Dans un cadre gouvernemental, tout ce que je fais pour améliorer les soins médicaux, ce serait plus long, lourd et j’aurais moins de liberté. On verra plus tard… »
L’Afrique a besoin d’entrepreneuriat, elle a des ressources, mais il lui manque des entrepreneurs.
Lorsqu’elle revient régulièrement sur les bancs de la Faculté, elle constate que les étudiants n’ont pas conscience de la réalité professionnelle. Une majorité va se retrouver au chômage, à moins de migrer vers un autre pays. C’est ainsi que mûrit son projet d’« inculquer l’entrepreneuriat dans cette jeunesse sans grand avenir ». Elle va proposer des cursus aux étudiants en médecine et aux élèves infirmiers pour affiner des projets. « L’Afrique a besoin d’entrepreneuriat, elle a des ressources, mais il lui manque des entrepreneurs ». Entre deux coups de téléphone, elle évoque son « projet fou » : un hôpital dans le désert ! « Il y a plus de monde qu’on ne le croit dans le désert, il y a de réels besoins ».
Sacrifices
Mais la jeune femme pressée a été freinée dans son élan « Les autorités m’ont prévenue, en cas de balles perdues ou de mines, dans les zones rouges, ce serait risqué et les assurances ne suivraient pas ».
Pour mener à bien tous ces projets, Allama travaille d’arrache-pied du lundi au dimanche, de 6 à 20 heures. « Je sacrifie ma vie de jeune, je tire un trait sur les loisirs et les sorties, sinon je ne peux y arriver ». Et pour se motiver, elle pense à son grand-père, qui fut le premier dans la tribu à obliger les femmes à aller à l’école. « Il serait fier ».