L’engouement autour des neurosciences va croissant. Prudence néanmoins concernant cette neurophilie et les « vérités » dont les neurosciences seraient porteuses. L’important aujourd’hui est de retrouver le chemin de la pensée complexe. Une bonne raison pour lire la série d’articles qu’Hugues de Jouvenel, aidé de Jean-Pierre Bellier, a commencé à publier dans Futuribles sur neurosciences et sciences cognitives.
Disposez, devant un enfant de quatre ans, deux alignements de sept jetons pareillement espacés. L’enfant dira que leur nombre est identique. Recommencez l’expérience en espaçant les jetons de l’alignement droit, qui apparaîtra plus long. L’enfant croira qu’il contient plus de jetons. Cette erreur d’intuition perceptive (Jean Piaget), nous ne la faisons plus à sept ans : nous avons acquis le concept de nombre. Les progrès de l’imagerie cérébrale ont permis à Olivier Houdé, comme il l’explique dans Futuribles (n° 428, janvier-février 2019), de découvrir que notre cortex pariétal est le siège des mathématiques dans notre cerveau. Un exemple des progrès actuels des sciences cognitives (études de la connaissance, de l’intelligence) et des neurosciences. L’un des bénéfices attendus est de rendre plus pertinents et efficaces l’enseignement et les formations.
Prudence
« Cependant, rappelle Hugues de Jouvenel, si ces recherches peuvent grandement améliorer les pratiques éducatives, nous devons rester vigilants vis-à-vis de soi-disant découvertes en réalité sans fondement. Elena Pasquinelli (Fondation La main à la pâte), met en garde contre les neuromythes, ces idées fausses qui se répandent à partir de la divulgation de résultats scientifiques mal compris ou encore non confirmés. Trois chercheurs américains ayant cru constater en 1993 que des adultes présentaient un QI amélioré après l’écoute d’une sonate de Mozart, la Floride prescrivait à ses maternelles de diffuser de la musique classique aux enfants. Le prétendu Effet Mozart, marque déposée, a été exploité pour escroquer ! On a vendu du vent : des millions de produits pour enfants ou fœtus, du saké, des bananes Mozart ! La chercheuse italienne cite d’autres exemples, comme des exercices pour rééquilibrer nos cerveau droit et gauche. Plus grave, « la prolifération de méthodes éducatives se déclarant basées sur le cerveau mais pseudoscientifiques témoigne du fait que la neurophilie a gagné l’éducation d’une manière déconcertante ».
Redécouvrir la complexité
L’intelligence humaine est « multiforme, émotionnelle, empathique.
« Il faut éduquer l’esprit critique (et scientifique) des enseignants avant celui de leurs élèves », remarque Elena Pasquinelli, rejoignant une recommandation d’Hervé Sérieyx. Et, comme le répète Edgar Morin, l’Ecole devrait découvrir la pensée complexe ! Pascale Toscani, (laboratoire international de neurosciences éducatives, GRENE.MONDE), affirme que les sciences cognitives ont besoin des démarches basées sur la complexité chère à Edgar Morin. Elle aussi évoque des biais cognitifs qu’il faut comprendre pour mieux nous comprendre. Il y a un demi-siècle déjà, Daniel Kahneman et Amos Tversky dressaient un inventaire des situations où notre cerveau est susceptible de suivre des raisonnements tout à fait irrationnels dans le domaine économique.
L’intelligence humaine est « multiforme, émotionnelle, empathique », confirme le professeur Jean-Claude Heudin qui, comparant intelligences artificielle et humaine explique clairement les réseaux numériques de neurones, le deep learning et les biais que peuvent introduire, involontairement ou non, les programmes d’intelligence artificielle. Il met à mal les mythes transhumanistes selon lesquels une intelligence artificielle forte prendrait bientôt le pouvoir sur l’Homme, fable que Jean-Gabriel Ganascia ne cesse de dénoncer.
Supercherie
Tout cela rejoint le propos d’Antonio Damasio, démontrant que nos décisions sont toujours associées à des émotions. Les entrepreneurs sont directement concernés par ces constats. Ils signifient que l’entreprise est d’autant plus efficace qu’elle met émotion et empathie dans les relations qui construisent son intelligence collective et son capital relationnel. Ils démontrent aussi la supercherie de l’école néo-libérale, ignorant les sentiments humains et rationalisant tout. Elle a pourtant fait main basse sur l’économie mondiale et les esprits de la majorité des pseudo-experts et des dirigeants de droite et de gauche.