Faut-il avoir peur du Big Data, en français des mégadonnées qui s’accumulent dans le cyberespace ? Quels risques pour notre intimité ?
Nous laissons quotidiennement les traces de nos déplacements sur les sites d’aide à la navigation ou les plateformes qui nous mettent en rapport avec des chauffeurs. Nous confions nos impressions à propos des événements politiques du jour sur les réseaux sociaux. Tous les achats que nous effectuons sur Internet donnent sont mémorisés et pas seulement par la société auprès de laquelle nous les avons effectués. Idem de nos billets d’avion. La production de données numériques explose. Selon le Washington Post, Facebook collecterait 98 sortes d’informations sur chacun de ses deux milliards d’utilisateurs à travers la planète. Pas bête, le coup des « tests de personnalité », gratuits et marrants. Demain, Facebook pourrait bien en vendre les résultats à la société qui envisage de nous recruter… Même s’il a le visage jeune et souriant de Marc Zuckerberg, Big Brother en sait vraiment beaucoup sur nous. Un peu trop, sans doute.
C’est aussi qu’une espèce de copie informatique de la vraie vie, un double numérique de ce que nous sommes dans le monde physique nous suit désormais comme une ombre. Et ce double virtuel habite une maison de verre. En croisant les informations nous concernant, on pourrait presque nous reconstituer en un hologramme possédant toutes nos caractéristiques comportementales, nos goûts et nos habitudes. Or, nous n’en sommes qu’au début. Car l’Internet des objets va démultiplier les flux de données disponibles. Notre frigo et le radiateur de la chambre vont-ils se mettre à nous espionner, comme le font déjà notre ordinateur et notre téléphone portable ? Et pour le compte de qui ? Il y avait déjà de quoi plonger dans la paranoïa.
Des outils de traitement de plus en plus sophistiqués
Mais le plus dérangeant, c’est que face à cette prolifération de données disponibles, à ces Data de plus en plus Big, les machines capables de les interpréter et de les exploiter deviennent elles-mêmes de plus en plus intelligentes. Intelligence Artificielle. Au point que d’excellents esprits accusent leurs détenteurs de chercher non seulement à analyser nos comportements, mais surtout à les déterminer. A nous conduire à agir dans le sens désiré. Que ce soit des politiques ou des entreprises commerciales. Les premiers parce qu’ils veulent nous convaincre de les élire, puis, une fois élus, à nous inciter aux comportements qu’ils jugent bénéfiques. Les secondes pour gagner de l’argent en nous vendant toute sorte d’objets et de services, parfois au-delà de nos possibilités financières, comme elles le savent fort bien – elles qui savent tout de nous.
Alors faut-il avoir peur du Big Data ? Oui, absolument, répond le magazine Books, dans son numéro de novembre/décembre, qui paraît cette semaine. Sous le titre « Sommes-nous si faciles à manipuler ? », Books consacre un dossier entier à la question, en croisant des articles consacrés à l’espionnage dont nous serions victimes de la part des firmes de l’Internet et d’autres à l’utilisation des sciences du comportement à des fins de manipulation. Et le dossier se conclut par un article consacré aux nouveaux outils du marketing politique.
Il n’y a pas que du négatif dans le Big Data. Comment ne pas reconnaître que, dans certains domaines, et dans un avenir tout proche, le Big Data va nous rendre d’immenses services ? En particulier dans celui de la santé. Pouvoir confier à des intelligences artificielles les antécédents d’un patient dès son arrivée à l’hôpital fera gagner un temps précieux pour l’établissement d’un diagnostic. Et cela pourrait être étendu à la médecine de ville. Disposer d’une base de données très étoffée sur les cas semblables permettra en outre de prescrire les traitements qui se sont révélés les plus adaptés. La médecine prédictive est moins angoissante que la police prédictive…
A l’heure de la police prédictive…
Mais celle-ci existe aussi. Ainsi, l’Etat chinois, coiffé par un « gouvernement de surveillance », comme l’écrit le Financial Times, a dévoilé un programme de prévention de la criminalité qui s’apparente aux pires prédictions de Philip K. Dick dans Minority Report. « Si nous utilisons des systèmes intelligents, des équipements intelligents, nous saurons à l’avance qui pourrait bien être un terroriste, qui serait sur le point de commettre un délit grave ». Ce n’est pas de la science-fiction, c’est une déclaration faite, cet été, par le vice-ministre de la science et de la technologie, Li Meng.
La police chinoise utilise les services d’une société de reconnaissance faciale pour anticiper les comportements criminels en fonction des allées et venues, des boutiques fréquentées, et jusqu’à la manière de marcher dans la rue. En pratiquant une technique « d’analyse de foule », elle est en mesure de détecter un individu présentant un comportement suspect. Ces technologies lui permettent de repérer et de punir les contrevenants mineurs, comme ceux qui ne respectent pas les passages piétons.
Mais l’Inde démocratique elle-même pratique la police prédictive. La police de New Delhi s’est dotée d’un système de balayage automatique de la ville qui permet d’identifier les lieux probables où risque de se produire le prochain crime…