De mieux en mieux connu, le cerveau est aussi de plus en plus sollicité et maltraité par ces maladies du XXIe siècle que sont la dépression sévère, le burn-out ou encore la sénilité. Fin connaisseur de « ces 1500 grammes de matière molle et grisâtre », le professeur Pierre-Marie Lledo mène le combat pour accroître nos facultés cognitives, notamment par le mariage cerveau-machine.
Quels sont les maux contemporains qui empêchent notre cerveau de fonctionner à plein régime ?
Pierre Marie Lledo : J’en vois deux principaux. L’infobésité et l’instantanéité. Le citoyen du XXIe siècle se trouve face à un tsunami d’informations. Songez que l’humanité produit en 2014 toutes les 7 minutes 5 exabytes de données, soit autant qu’entre l’invention de l’écriture (4500 ans avant Jésus-Christ) et l’an 2000 ! Bombardé, notre cerveau ne peut traiter toute cette masse d’informations. Très peu de personnes ont compris qu’il faut se protéger. La majorité d’entre elles sont engluées dans ce tsunami et ne peuvent gérer ce flux, ce qui se traduira par des burn-out et des dépressions. Il faut nous poser la question : quand je reçois une information, est-ce une information qui me fait savoir ou une information qui me fait comprendre ? Si je mets mon cerveau en mode comprendre, c’est la meilleure façon de se prémunir contre cette infobésité. Vous n’êtes plus dans une démarche instantanée, vous vous placez dans une démarche analytique. De même, il faut également savoir paresser ! Votre rendez-vous a cinq minutes de retard ? Au lieu de consulter vos messages sur votre portable, regarder les nuages qui passent. Laissez votre cerveau respirer : il va se livrer à l’introspection, revisiter les faits de la journée. Prenez le temps de prendre conscience.
Et le danger de l’instantanéité ?
P-M Lledo : C’est l’autre dimension délétère de la société moderne. Un citoyen moderne vit dans la société de la dictature du temps : il doit répondre à ses messages, il prend des décisions dans l’instant. J’ai un coup de blues, en trois clics je peux prendre un billet d’avion pour un week-end à Venise. Nous sommes dans la recherche du plaisir et risquons d’être victimes de troubles de l’addiction. Nous perdons votre libre arbitre.
Certains chefs d’entreprises s’effondrent quand un petit grain de sable coince la machine, alors qu’ils ont tout pour être heureux.
La meilleure arme contre cette dépendance, c’est le désir, un mécanisme cérébral qui se traduit par une planification. Nous devons être des êtres de désir, qui se projettent dans le futur, même après un échec. Certains chefs d’entreprises s’effondrent quand un petit grain de sable coince la machine, alors qu’ils ont tout pour être heureux. Prenez des entrepreneurs comme Pierre Kosciusko-Morizet, Marc Simoncini ou Xavier Niel: ils ont su rebondir après l’éclatement de la bulle internet dans les années 2000, car ils avaient une vision d’avenir.
Quels autres dangers percevez-vous ?
P-M Lledo : L’espérance de vie augmente, mais la dépendance aussi. C’est inacceptable. La médecine est capable de remplacer toutes les pièces du corps humain sauf le cerveau. Nous avons des personnes âgées qui ont des bonnes enveloppes corporelles, un cœur de jeune homme, une pression artérielle sous contrôle, des taux de glycémie et de cholestérol jugulés, mais dont on n’a pas soigné le cerveau. Je constate un véritable déferlement des maladies neurodégénératives. Ce n’est pas inéluctable ; ce n’est pas la conséquence de la hausse de l’espérance de vie. La raison ? Le cerveau n’est pas optimisé. Ces maladies sont des maladies sociétales, conséquence directe de notre mode de vie. Par exemple, quand une personne lit un roman, 90 % de son activité mentale est engagée, y compris la structure olfactive de son cortex. Quand elle regarde un film sur son portable ou sa tablette, seulement 15 % des régions concernées – la vision et l’audition – de leur cerveau vont fonctionner !