Notre époque est celle où la « double capacité contradictoire » du travail (voir première partie) se trouve fécondée par les technologies, elles-mêmes traversées par cette même logique. Le défi complexe que nos sociétés doivent relever consiste à traverser la zone de turbulence actuelle en évitant la casse.
Comment ? En dépassant la condition de salarié et à nous affranchissant de ce tout ce qui tend à nous réduire à de simples consommateurs.Lutter contre « l’automatisation des esprits », selon l’expression de Bernard Stiegler, c’est refuser la fuite en avant, non pas en réformant simplement le système éducatif, mais l’économie et la société tout entière.
L’emploi est mort, vive le travail
Le message de Stiegler peut être résumé ainsi : prenons acte de la fin de l’emploi pour réinventer le travail. Car l’emploi n’est pas le travail. Un emploi est une activité rémunérée par un salaire ; le travail est en revanche une activité contribuant à notre individuation, c’est-à-dire la constitution d’une subjectivation collective à travers le dialogue, la concertation et l’agir ensemble. Etre à la fois sujet et acteur, et non plus un objet consommant.
Un tel changement suppose une inversion des valeurs, en faisant de nouveau primer le collectif et la coopération sur l’individualisme libéral. Quelques mesures concrètes : instauration du revenu de base, mais aussi d’un revenu contributif dont l’octroi serait conditionné à l’exercice d’activités présentant un intérêt pour la collectivité, généralisation du logiciel libre (liberté d’utilisation, de modification et de distribution), ou encore l’évaluation collective dans l’éducation et l’entreprise… Il s’agit d’envisager tous les aspects de notre vie par le prisme du collectif, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle forme d’économie, celle de la contribution. Cette dernière s’oppose radicalement à ce que nous appelons l’économie du partage. L’économie du partage conduit en réalité à l’hypercapitalisme : la richesse, captée par des plateformes numériques, ne profite en définitive qu’à une minorité. Dans l’économie de la contribution en revanche, toute richesse est redistribuée à ceux qui la produisent. Les technologies peuvent et doivent devenir les outils de cette transformation.
Utopique ?
Soyons lucides : la tâche est immense. Mais peut-être pas complètement utopique… Car si le capitalisme actuel semble difficilement en mesure de se réformer de lui-même, sa prochaine crise – que certains annoncent comme imminente — pourrait jeter les bases de ce monde nouveau. Le capitalisme, dont Marx avait déjà annoncé la fin, a toujours su se réinventer. Dans l’impasse sociale et écologique dans laquelle il est engagé, aura-t-il une nouvelle fois les ressources pour assurer sa survie ?