Le bon sens dit des choses si simples et si lumineuses qu’il semble difficile de remettre en question la haute estime dans lequel il est tenu. L’un de ses enseignements majeurs est : devant un problème, si je sais ce qu’il faut faire alors je le fais ; dans le cas contraire, je vais apprendre, ou chercher de l’aide, ou convoquer un expert et je me ramènerai au premier cas de figure.
Or, en tant qu’accompagnant de dirigeants aujourd’hui, mais aussi en tant que dirigeant d’entreprise informatique hier, je suis face à des personnes qui, en général, savent peu ou prou ce qu’il leur faut faire pour résoudre leur problème, mais ne le font pas.
Parmi les exemples les plus frappants, nombre sont tirés de la vie quotidienne et du rapport de chacun à sa propre santé : je sais que je dois arrêter de fumer (ou de boire, ou de trop manger), mais je ne le fais pas ; je sais que je dois faire de l’exercice, mais je ne le fais pas. Dans ces circonstances, le bon sens ne m’est d’aucune aide. Voire ! Il peut contribuer à me sentir coupable, voire à me sentir dans la honte qui est un sentiment puissant, nous le savons, pour empêcher d’avancer et de progresser.
Le bon sens est particulièrement à l’honneur dans le management. Non sans parfois quelques contradictions. Tel dirigeant dira que le management, c’est du bon sens, tandis qu’il regrettera que son collaborateur rechigne à accepter des formations. Contradiction qui est plus qu’apparente, quand on apprend que le dirigeant en question, lui, ne s’est jamais formé. L’inné pour soi, l’acquis pour les autres.
Nous voyons qu’en effet, le postulat est : si j’ai du bon sens, il n’est pas nécessaire que je me forme. Il n’est surtout pas nécessaire que je remette en cause mes façons de faire. En réalité, vu la qualité du management dans notre pays, nous pouvons dire que la culture du bon sens fait des ravages.
Car le bon sens ne vous apprendra pas à faire ce que vous savez devoir faire, que vous savez faire et que, pourtant, vous n’arrivez pas à faire. Le plus souvent pour des raisons qui vous semblent mystérieuses. Ce que nous tentons de pallier généralement par plus d’outils, par plus de méthodes, par plus de la même chose. Si le bon sens le dit, alors ça doit bien finir par marcher !
Mais la chose n’est pas tout à fait inconnue : les psychologues nomment ce phénomène « résistances ». Chaque approche de l’être humain a son propre regard sur ce que sont les résistances et comment il convient de les lever. Les uns cherchent à les comprendre, d’autres à les briser, d’autres à les contourner ou à les équilibrer. Quelle que soit l’approche, toutes s’accordent pour dire que les résistances se logent dans des zones aveugles de notre conscience ; et que ces zones sont verrouillées à double tour, avec une clé que nous pouvons appeler : croyance, ou préjugé, ou a priori, ou encore idée reçue.
Par exemple : dans la vie, il faut être fort (sous-entendu, ne pas demander d’aide) ; dans la vie, quand on travaille, on réussit (sous-entendu, persévérer et faire plus de la même chose).
Même si, dans ce qu’on appelle le « bon sens » et dans ces croyances, tout n’est pas à jeter – ce que nous avons appris par nous-mêmes et qu’on nous a transmis est un bien précieux –, qu’il me soit donc permis de donner un autre nom à ce bon sens : la paresse.
Car c’est paresse que de s’en remettre à ce qu’on appelle le bon sens, ou la tradition, ou la sagesse ; parce que toute situation est nouvelle et requiert de nous une attitude nouvelle qu’aucun bon sens ne saurait nous dicter.
Laurent Quivogne – http://www.lqc.fr/