Pourquoi se préoccuper de ce qui se passera quand je ne serai plus là ?

canstockphoto35444463
© Can Stock Photo / nito

Plénière le mercredi 10 octobre dernier à Paris, sur le thème « Demain sans moi » ou pourquoi et comment faut-il se préparer au cas où, en tant que chef d’entreprise, il m’arriverait quelque chose, décès ou incapacité.

Passons rapidement sur la partie technique : assurance, testament, mandat de protection future, etc. Quatre experts – notaire, assureur, gestionnaire de patrimoine, avocat – étaient là pour répondre aux questions et éclairer l’auditoire.

Le fait est que, la plupart du temps, nous rechignons à nous occuper d’une situation que nous avons toutes les raisons de redouter. Pourquoi se préoccuper de ce qui se passera quand je ne serai plus là ? Pourquoi d’ailleurs se préoccuper d’un événement dont on peut espérer qu’il n’arrivera pas : tomber dans le coma n’est pas une fatalité pas plus que mourir prématurément.

Je donne à cette nécessité deux raisons, l’une pratique, l’autre philosophique.

Une raison pratique

Pour avoir accompagné des situations de succession, de transmission, avant ou après le départ, et parfois le décès (qui est un grand départ) du chef d’entreprise, je vois combien la parole de celui-ci a une portée symbolique forte et structure le débat. Pour lui, ne pas s’occuper de ce qu’il adviendra après qu’il ne sera plus capable d’exercer son rôle, en pensant que ses successeurs – ses associés, ses enfants, etc. – saurant « s’arranger », c’est ouvrir la porte à la violence.

Sa parole pose un cadre qui limite formidablement les dérives après coup. Plus fort encore : en ne parlant pas, il ouvre la porte à des interprétations de ce qu’il aurait souhaité. Car c’est trop penser que de croire que les successeurs s’entre-déchirent uniquement par avidité. Bien souvent, ils veulent respecter la volonté du disparu. Sauf que… chacun a sa propre idée ou représentation de cette volonté.

Ceci est vrai, même dans le domaine familial, même quand les sommes en jeu sont dérisoires. J’ai le cas très proche d’un simple lit qui a été la cause (ou peut-être simplement le prétexte) d’un éclatement de la famille. L’un qui avait payé le garde-meuble pendant des années considérait que le lit lui appartenait ; l’autre qu’il avait droit à une partie du lit. Une partie du lit, c’est-à-dire une partie de l’héritage, si modeste soit-il, c’est-à-dire encore une partie des défunts (les grands-parents).

Ceci est d’autant plus vrai dans les entreprises ou cet héritage contient une part de pouvoir.

Une raison philosophique

Une part de notre humanité consiste, qui que nous soyons et quelle que soit notre origine, à affronter les pressions existentielles. Irvin Yalom qui a théorisé sur le sujet dit qu’il y a en quatre. Bien que ce soit le lot commun, je fais l’hypothèse qu’un entrepreneur a un rapport particulier avec ces pressions existentielles. Petit passage en revue.

· La solitude : non pas la solitude sociale, mais le fait d’être seul à assumer certaines décisions. Un dirigeant vit cela de façon particulièrement intense : non seulement pour lui, mais aussi pour les autres dont il a la responsabilité.

· La quête de sens : nous le savons, le monde est absurde ; comment dès lors se trouver une raison de vivre, une raison d’exister. De même un dirigeant doit faire exister les organisations dont il a la responsabilité : non seulement pour lui, mais aussi pour les autres dont il a la responsabilité.

· La liberté : nous n’avons pas le choix de ne pas être libre et donc responsable de nos actes. C’est ce qui fait que la liberté pèse parfois. Le dirigeant – qui bien souvent a choisi cette voie justement pour la liberté – doit faire face à cette responsabilité également de façon aigue. Et, à nouveau, pour lui, mais aussi pour les autres.

· Enfin, la finitude : tout a une fin, y compris nous-même. Y compris aussi ce que nous avons créé ou bâti ou repris, y compris donc nos entreprises dont la fin est bien souvent le spectre du dirigeant.

Nous voyons qu’être entrepreneur, c’est faire face plus que beaucoup à ces pressions existentielles. Envisager sa propre finitude, envisager que le monde va continuer sans nous, c’est accomplir cette tâche héroïque jusqu’au bout. C’est une des manifestations du courage du dirigeant que d’être capable de ne pas se croire immortel.

Laurent Quivogne – http://www.lqc.fr/

Partager cet article