Créée en 2011 comme un contre-pouvoir aux lobbies financiers de Bruxelles, l’association Finance Watch veut aujourd’hui embarquer la société civile et l’opinion dans son combat. Rencontre avec son secrétaire général, Benoît Lallemand.
Dirigeant : Quelle est la vocation de Finance Watch ?
Benoit Lallemand : En décembre 2010, un groupe de députés européens décidés à ne pas laisser le lobby financier détricoter l’agenda de réforme financière du G20, a initié une mission de recherche pour déterminer si une entité indépendante pouvait être en mesure de représenter efficacement les voix de la société dans le débat sur la réforme du secteur financier. Finance Watch, association internationale de droit belge, est née en avril 2011 des travaux de cette mission pour encouragerl’instauration d’un système financier durable, au service des principes démocratiques et de la société, qui favorise l’investissement plutôt que la spéculation.
D. : Quel bilan tirez-vous de votre action ?
B.L. : Nous avons incontestablement ouvert des brèches et participé d’une sensibilisation des consciences. La crédibilité et la force de FinanceWatch doivent notamment au fait que l’association est constituée de professionnels de la finance (six au lancement, quatorze aujourd’hui). A force de réflexion, d’échanges et de rencontres, nous avons amorcé un vrai dialogue dans la société civile.Reste que notre marge de manœuvre est retreinte. Elle passe essentiellement par des amendements. Et face à l’omnipotence des lobbies financiers, il est difficile de peser réellement. C’est pourquoi nous voulons aujourd’hui, au-delà de notre action d’expertise et de plaidoyer à Bruxelles, faire de l’activisme, à l’échelle de l’Europe et même globale.
D. : De quelle manière comptez-vous agir ?
B.L. : Enrayer l’emprise et la préemption intellectuelle qu’exerce le lobby de l’industrie financière nécessite une mobilisation des citoyens. Dix ans après la crise financière, nous sommes en train de créer une coalition, regroupant des entreprises, des membres de la société civile, des experts et des universitaires, des praticiens de l’économie sociale et solidaire, des pionniers de la finance durable, des fondations et des ONG. Nous sommes fédérons les 160 partenaires présents à notre premier forum “Changer de finance” en décembre 2017 ainsi que d’autres acteurs aux États-Unis et au-delà. De cette base naîtra très prochainement une plateforme commune, accessible via un site Web. Elle sera un lieu d’échange et de partage de nouvelles idées, de promotion de solutions concrètes susceptibles de peser à l’échelle mondiale pour accélérer des réformes en vue d’une régulation structurelle de la finance.
D. : Les PME peuvent-elles selon vous avoir un rôle à jouer ?
B.L. : Les PME ne le savent pas, mais elles bénéficient d’un crédit plus fort sans doute que celui des associations. C’est pourquoi il faut vivement les encourager à venir à Bruxelles (ou intervenir au niveau national) pour, individuellement ou de manière collective, peser de tout leur poids sur les orientations politiques.
D. : Comment impliquer le grand public autour d’une matière aussi complexe que la finance ?
B.L. : Mais cette complexité n’est pas une fatalité ! Il y a quarante ans, le système financier était beaucoup plus simple. Le poids des banques publiques garantissait des choix plus démocratiques. Ce sont les promoteurs de la sur-financiarisation qui ont rendu les choses affreusement complexes.
D. : Comment parler rallier l’opinion à la nécessité d’en revenir à ces fondamentaux ?
B.L. : Il y a une émotion autour de la finance. Cette émotion est certes négative, prenant plutôt la forme d’un dégout, voire d’une rage, avec des conséquences politiques lourdes et la montée des populismes de droite en Europe et outre-Atlantique. Mais il ne faut pas pour autant l’occulter au motif prétexte que nous sommes des experts. Il faut au contraire parler à cette émotion, au travers d’un récit constructif. A nous d’expliquer à l’opinion comment cette complexification acontribué à l’accélération des dégradations environnementales, à l’augmentation des inégalités et à l’affaiblissement des standards de protection sociale. A nous de convaincre de l’urgence d’un système bancaire résistant et efficace, qui oriente les crédits vers un investissement productif dans l’économie réelle, sans transférer ses risques à la société tout entière. Car la finance, nous en sommes convaincus, reste le sang de l’économie.
Muriel JAOUEN