« Je n’ai confiance que dans les statistiques que j’ai moi-même falsifiées », disait Winston Churchill. Cedric Villani ajoutait récemment sur France Inter que les mathématiciens affirmaient qu’il y a trois sortes de mensonges : « les petits mensonges, les grands mensonges et les statistiques ».
Autant de voix fortes pour dire la défiance des statistiques. Et, en effet, nous observons aisément que l’abus est fréquent et que chacun peut faire croire ce qu’il veut en se servant des chiffres. Les statistiques sont aussi un appauvrissement de la réalité qu’elles recouvrent : les pieds dans le four et la tête dans le frigo, on est statistiquement à la bonne température, avait l’habitude d’ironiser un de mes amis. Autant de « cachettes » possible pour masquer des réalités dérangeantes en servant des statistiques comme couverture et alibi scientifique.
Cependant, la possibilité d’abus ne doit pas faire jeter le bébé avec l’eau du bain. J’ai eu la récente occasion d’en faire la vérification avec une conférence de Jean-Marie Robine, épidémiologiste qui fait autorité sur le sujet de l’espérance de vie.
Résumons d’abord son propos avec quelques chiffres : l’espérance de vie ne cesse de croître dans les grands pays développés. En tête assez nettement, le Japon puis la France. Concentrons-nous sur cette dernière pour ne pas plomber cet article avec une avalanche de chiffres. L’espérance de vie, dans les trente dernières années, a cru de 3 mois par an. Cette croissance subit un ralentissement chez les femmes depuis 2010 mais reste une croissance. L’espérance a néanmoins chuté en 2015 dans toute l’Europe à cause d’une épidémie de grippe H3N5 qui n’est pas mortelle mais fait flamber toutes les autres causes de mortalité chez les personnes âgées. En partie à cause du manque de vaccination, non des intéressées chez lesquelles la vaccination est peu efficace mais dans leur entourage – et spécialement chez les enfants – qui peuvent ainsi être porteurs de la maladie, sans en souffrir gravement mais en la transmettant à leurs grands aînés.
Revenons à notre sujet : une espérance de vie qui croît globalement d’année en année. Ce qui est remarquablement stable c’est le ratio entre l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé, dite aussi et plus précisément « espérance de vie sans incapacité » : 80% chez les hommes, 77% chez les femmes. Autrement dit, quand l’espérance de vie est de 80 ans pour un homme, son espérance de vie sans incapacité est de 64 ans (80 x 80%). Ce qui signifie encore qu’elle ne cesse de croître elle aussi et donc que, globalement, plus le temps passe, plus nous vivons en bonne santé plus vieux.
Ces chiffres peuvent faire l’objet de deux illusions d’optique, dont la presse s’est parfois emparée à des fins peu avouables de sensationnalisme :
– Le chiffre pour les femmes (77%) est inférieur à celui des hommes (80%). Ce qui pourrait laisser penser qu’elle ont une espérance de vie sans incapacité plus faible, ce qui est faux. En réalité, elles ont une espérance de vie supérieure. Certes, le ratio est moins élevé mais donne une valeur absolue supérieure (en gros 65 ans contre 63 pour les hommes)
– La nombre de personnes en bonne santé (disons 80%) augmente en même temps que l’effectif mais le nombre de personnes en incapacité (20%) augmente également à proportion de l’effectif global qui augmente puisque nous vivons tous plus vieux. De fait, on peut aussi dire que le nombre de personnes en incapacité augmente et trouver, de façon tout à fait fallacieuse, tout un tas de bonnes raisons pour l’expliquer, autant de critiques de notre société, de ce que nous sommes et, bien entendu, de nos gouvernants.
D’où je conclus que le problème des statistiques est davantage dans la naïveté de celui qui les entend et dans l’intention – ou la simple incompétence – de celui qui les utilisent. Le chiffre a souvent l’air d’être un argument décisif. Il ne l’est qu’avec un contexte précis et bien moins simple à appréhender. « Le chiffre est nu » dirait l’enfant moderne dans de nombreuses circonstances.