Les Etats à la recherche d’un équilibre entre ouverture commerciale et contrôle de leur territoire.
Bien des spécialistes des relations commerciales internationales annonçaient la fin de la mondialisation, ces dernières années. Qu’en est-il aujourd’hui ? Oui, on a encore en tête les essais hyper-pessimistes de Stephen King, Grave New World : The End of Globalisation, ou de Bill Emmott, The Fate of the West. Tous deux la fin imminente de l’ordre libéral et une victoire inéluctable des populistes, entraînant protectionnisme et guerres commerciales. Mais l’humeur a changé en un an.
Pourquoi ? Parce que les élections aux Pays-Bas et en France ont marqué un premier reflux de la vague populiste. Et parce que Trump, malgré sa rhétorique agressive envers ses partenaires et concurrents, doit s’incliner devant le principe de réalité. Le Congrès ne le laissera pas déclencher des batailles commerciales dont les Etats-Unis ne sont nullement certains de sortir vainqueurs. Les peuples du Sud, en Asie et en Amérique latine, en particulier, ne sont pas prêts, de leur côté, à renoncer à une libéralisation des échanges qui a permis à des centaines de millions de personnes d’accéder à la classe moyenne en une génération. L’altermondialisme rejoint le développement autocentré au rayon des idéologies démenties par les faits.
Significativement, la semaine dernière, à Kigali au Rwanda, 44 Etats africains ont posé la première pierre d’un marché commun africain en créant une Aire de Libre échange continentale. Les Africains veulent secouer l’architecture commerciale héritée de la colonisation et multiplier les échanges entre eux en supprimant les droits de douane sur 90 % des produits.
La mondialisation va-t-elle marquer le pas ? La mondialisation va-t-elle se poursuivre au même rythme ou ralentir ? Marquer un temps d’arrêt ? Dans un essai intitulé From Global to Local, Finbarr Livesey, un universitaire de Cambridge, prétend que les nouvelles technologies qui, dans un premier temps, avaient favorisé les délocalisations en poussant au séquençage de la chaîne de valeur à travers le monde, vont dorénavant favoriser des relocalisations. Hier, le numérique et le porte-containers. Demain, les imprimantes 3D, la robotisation et l’Intelligence artificielle pourraient faire revenir la production au plus près des consommateurs.
Force est de constater que le livre de Philippe Moreau Defarges, La tentation du repli, qui nous a servi de guide cette semaine, se termine significativement sur une réponse mi-chèvre -mi-chou à la question de savoir si cette mondialisation va se poursuivre, ralentir, ou s’arrêter. D’un côté, écrit-il « la fermeture a toujours un prix élevé : appauvrissement ; montée des tensions internes, les enfermés finissant toujours par se déchirer ; déconnexion des flux extérieurs… Alors, s’ouvrir ? Personne ne saurait accepter que sa maison soit ouverte inconditionnellement à tous et à n’importe quoi. Il reste à chercher un équilibre toujours mouvant et insatisfaisant entre insertion dans les échanges et les réseaux internationaux et _préservation d’un contrôle du territoire_. » Fin de citation.
Les Etats seraient à la recherche d’une position moyenne, en ménageant certains attributs essentiels de leur souveraineté, comme le contrôle des flux migratoires, tout en acceptant la mise en concurrence de leurs appareils productifs. Mais à condition que les règles du jeu soient également respectées par tous les partenaires.
Beaucoup remettent en cause le clivage « partisans de l’ouverture » versus « partisans de la fermeture », dont on prétendait il y a peu qu’il était en train de remplacer l’opposition droite/gauche. L’hebdomadaire britannique The Economist se livre sur ce point à une sorte d’autocritique dans le fameux éditorial non signé Bagehot, cette semaine. Il était un peu trop facile de ranger, d’un côté, les gens ouverts, partisans de l’accueil des migrants, de la société multiculturelle et tolérante et de libéralisation des échanges commerciaux et, de l’autre, les adversaires de cette généreuse ouverture, crispés sur leurs intérêts et leur identité. Cette présentation était trop intéressée pour être honnête…
Ainsi, les Brexiters ne sont pas tous, comme les ont trop souvent décrits leurs adversaires, des protectionnistes rêvant d’une Grande-Bretagne autarcique. Des élus comme l’eurodéputé conservateur Daniel Hannan ou le député Douglas Carswell, tous deux fermement engagés pour le Brexit, sont typiquement des partisans de « l’ouverture ». Ce qu’ils reprochent à l’Union européenne n’est pas de favoriser la concurrence, mais au contraire, de la contrarier en autorisant les Etats à subventionner des activités périmées. Un récent sondage sur les motifs du vote « Leave » montre que, pour 49 % des électeurs qui ont fait le choix du Brexit, c’était la question de la démocratie et du contrôle par le Parlement qui était décisive. A leurs yeux, les partisans de la « fermeture » sont les bureaucraties tatillonnes, incapables de rendre compte de leurs décisions devant une assemblée élue. Bien rares sont les partisans d’une ouverture illimitée et inconditionnelle. Dans les cas d’épidémies de maladies à virus, telle qu’Ebola, il serait irresponsable d’abolir tout contrôle aux frontières. Mais de l’autre côté, quels sont les partisans du protectionnisme dont le modèle est la Corée du Nord ?
Mieux encore : l’histoire, prétend The Economist, a montré que les cités commerçantes les plus audacieuses, comme Athènes, étaient bien souvent protégées par de solides murailles. Je cite : « Avoir une frontière solide peut rendre les gens plus ouverts en les persuadant qu’ils peuvent gérer l’ouverture de leur pays. »
Crédit : France Culture