André-Yves Portnoff nous a quitté en octobre dernier. En guise d’hommage, nous republions ce texte sur l’Open innovation qui n’a pas pris une ride. Avec Internet et les Fablab, l’Open innovation nous est présentée comme une manière inédite pour les entreprises de résoudre des problèmes et créer de nouveaux produits ou services. Petit historique de l’Open innovation, un modèle pas si nouveau qu’il n’y paraît.
Devant l’incapacité des astronomes à proposer une méthode pratique et fiable pour déterminer la longitude en mer, le parlement britannique a voté, sous la pression des armateurs excédés, une prime de 20 000 livres sterling à qui ferait mieux que les spécialistes. C’est un horloger autodidacte, John Harrison, qui a apporté la solution jugée la meilleure et remporté le prix.
Un bel exemple de crowdsourcing[1]. Et il date de 1736. Faire un appel ouvert à des compétences non répertoriées n’est donc pas une pratique nouvelle née avec l’arrivée d’Internet. Celui-ci facilite infiniment les choses, mais les obstacles principaux n’ont jamais été techniques : le secret, la peur des concurrents, la honte des spécialistes à renoncer à leurs privilèges et encore plus, à déclarer forfait, ont limité les collaborations créatives.
Des réticences à accepter des idées venues d’ailleurs
A l’intérieur des entreprises, les spécialistes ont souvent eu des réticences à laisser d’autres mettre leur grain de sel dans leur pré carré, d’où la difficulté à mettre en place des pratiques d’Open Innovation, l’innovation dite ouverte, qui s’appuie largement sur des compétences externes. Jusqu’au début du XXe siècle, les grandes entreprises mondiales s’appuyaient essentiellement sur une recherche externe.
Pourtant, au XIXe siècle, les entreprises exploitaient largement la créativité d’inventeurs isolés, souvent autodidactes. Le Belge Zénobe Gramme, concepteur de la première dynamo à courant continu, était au départ menuisier. Son invention, reconnue et soutenue par des entrepreneurs avisés, a fourni le premier générateur industriel de courant continu et les premiers moteurs électriques de puissance.
Jusqu’au début du XXe siècle, les grandes entreprises mondiales s’appuyaient essentiellement sur une recherche externe. La création de centres de recherche internes a fait chuter les apports externes à un minimum historique de 3 % vers 1970. Mais rapidement, les plus grands groupes ont dû se rendre compte qu’ils ne pouvaient exceller dans tous les domaines, notamment avec l’essor des matériaux nouveaux, de l’électronique et de l’informatique.
La réticence à rechercher et même à accepter les idées venues de l’extérieur a néanmoins persisté. On l’a baptisé de NIH, not invented here, le syndrome faisant souvent réinventer en interne la roue. Au début des années 1980, cette pratique de l’innovation fermée a couté très cher à tous les constructeurs automobiles qui avaient rejeté l’idée proposée par Matra de créer l’Espace. Renault, pratiquant en l’occurrence, de l’Open Innovation avant la lettre, s’est accordé dix ans d’avance.
La direction, moteur du mouvement
L’ouverture commence par l’écoute active des collaborateurs de tout niveau, y compris des non-spécialistes investis du problème posé. Le pionnier en la matière reste Michelin : en 1927 qu’Édouard Michelin créait une « démarche de suggestion », pour bénéficier du bon sens et à la créativité des personnels de terrain comme à l’époque où la société ne comptait encore que quelques dizaines d’employés.
Des entreprises croient innover en instituant, comme France Télécom en 2007, des les boîtes à idées, branchées souvent sur les réseaux sociaux internes. Mais c’est 68 ans plus tôt que la SNCF lançait son « système de suggestion ». Le pionnier en la matière reste Michelin : en 1927 qu’Édouard Michelin créait une « démarche de suggestion », pour bénéficier du bon sens et à la créativité des personnels de terrain comme à l’époque où la société ne comptait encore que quelques dizaines d’employés. Depuis, Michelin a recueilli 2 millions d’idées de progrès proposées par ses employés depuis 1927. 18 % des employés de Michelin avaient émis environ 50 000 idées de Progrès en 2012. L’objectif pour 2020 est de susciter et recueillir annuellement 100 000 idées de Progrès et d’Innovation. Mais cela passe moins par la technique numérique que par une culture de l’écoute. Ce n’est possible que si la direction est convaincue et moteur du mouvement.
L’envie de coopérer
Ce n’est pas encore toujours le cas. Les cellules d’Open Innovation, dans bien des grands groupes, sont courageusement animées par des francs-tireurs très peu appuyés par des directions obsédées plus par le court terme que par l’innovation. Et puis il y a la peur de livrer aux concurrents des indications sensibles en décrivant les problèmes que l’on voudrait résoudre.
Une crainte que l’armée américaine a su dépasser en lançant en 2013 plusieurs concours pour la conception de ses véhicules blindés de la prochaine génération, les Fang (Fast Adaptable Next-Generation Ground Vehicle). Plus de mille compétiteurs ont répondu attires par plusieurs millions de récompenses. Depuis 2011, l’armée américaine a distribué plus de 1000 imprimantes 3D à autant de lycées mis en compétition. Un exemple qui devrait inspirer beaucoup de sites Internet touristiques français, qui essayent d’attirer des touristes étrangers en s’adressant à eux en langue hexagonale. Une collaboration avec les classes de langues de la région résoudrait le problème de façon économique et efficace. Encore faut-il avoir envie de coopérer avec d’autres institutions…
[1] Le crowdsourcing, ou externalisation ouverte ou production participative est l’utilisation de la créativité, de l’intelligence et du savoir-faire d’un grand nombre de personnes, en sous-traitance, pour réaliser certaines tâches traditionnellement effectuées par un employé ou un entrepreneur.