A 20 ans, il est le fer de lance de l’écologie populaire en France. Entretien avec Féris Barkat.
En préambule, quelques mots pour vous présenter. Qui êtes-vous ?
Je suis originaire de Strasbourg. J’ai commencé des études de philosophie à Londres, à la London School of Economics, études que je n’ai pas terminées. Mon prisme d’analyse, c’est la philosophie et l’économie, et j’essaie de penser avec les outils de ces disciplines avec la plus grande rigueur possible. Aujourd’hui, je vis de mes conférences. J’anime également des formations sur la question du climat. L’art m’intéresse. J’écris aussi des slams. Actuellement, il y a aussi le Conseil national de la refondation (CNR) dédié à la jeunesse, lancé par la Première ministre ; je travaille sur des mesures en faveur de l’écologue et tout particulièrement sur la question du brevet vert à destination des lycéens et des collégiens. Cela me prend du temps en ce moment, mais c’est un projet ponctuel. Le cœur de mon activité, c’est la création de contenus sur différentes plateformes pour développer une communauté présente dans les banlieues ou sur les réseaux sociaux, une communauté qui cherche à s’émanciper en s’emparant de la question climatique. Avec l’association Banlieues Climat que j’ai cofondée, on veut outiller les banlieues et refuser l’inacceptable, en matière d’espaces verts, de pollution, de qualité de l’air et d’alimentation. Toutes ces choses fondamentales, nous devons nous les réapproprier. Voilà en quoi consiste mon travail en ce moment.
Comment cette émancipation dont vous parlez passe-t-elle par la question écologique ?
J’ai connu la banlieue à Koenigshoffen (Strasbourg) et je suis fils d’ouvrier. Au lycée, puis quand j’ai commencé mes études à Londres, j’ai eu accès au savoir et ce savoir m’a ouvert à une compréhension nouvelle du monde. En France, nous ne vivons plus dans une société de production, mais de consommation. Nous sommes déconnectés de la manière dont les choses sont produites. L’économie, c’est d’abord de la matière, de l’énergie, de la physique, de la biologie. Il est important de faire prendre conscience de tout cela à un public très large. Cette compréhension des enjeux, nous essayons de la transmettre dans les banlieues avec des formations de 7 heures. Nous travaillons avec le ministre de l’Enseignement pour essayer de les certifier et permettre à nos stagiaires de repartir avec quelque chose de valorisable. L’émancipation passe par la compréhension du monde. Il est essentiel de politiser la question climatique pour essayer de transformer son quotidien. Il faut se saisir des questions de santé, de sport, de médecine préventive, de pollution et changer les choses.
Le grand chantier de la transition écologique est une occasion pour cela. Nous devons montrer aux jeunes qu’il y a aujourd’hui des opportunités, des emplois, des places à prendre pour participer à un grand projet commun. Donc, en résumé, c’est une émancipation sur le plan intellectuel pour transformer son quotidien et saisir les nouvelles opportunités.
En quoi consiste l’action de Banlieues Climat ?
Nous poursuivons l’objectif de pousser l’écologie populaire dans les quartiers en s’appuyant sur les associations localement déjà implantées, comme Banlieues Santé, présidée par Abdelaali El Badaoui. Ces dernières assurent la mobilisation dans une logique de coalition, mais aussi et surtout le pilotage des actions sur le long terme grâce notamment au travail de Sanaa Saitouli, cofondatrice de Banlieues Climat. Nous accueillons dans des centres socioculturels ou locaux d’associations des promotions de 15 à 20 jeunes de 16 à 25 ans. Nous assurons un volet formation sur les questions climatiques auprès de jeunes qui n’ont jamais entendu parler de cela. Ils ressortent transformés. Il y a également un volet action. Nous proposons à ces jeunes de devenir animateur pour les classes de primaire avec atelier d’une demi-journée autour de la plantation de salade, des gaz à effet de serre et du cycle de l’eau. Nos jeunes sont formés à l’animation de ces ateliers facilement réplicables. Enfin, le dernier volet consiste à engager ces jeunes dans la voie de la transition, que ce soit via le milieu associatif ou professionnel.
Il faut montrer à ces jeunes qu’ils ont les moyens de s’en sortir en s’emparant des questions écologiques. Dans ce cadre-là, l’idée à terme est que des entreprises viennent présenter leurs actions, montrer leur engagement, inspirer les jeunes et leur donner envie de postuler.
La philosophe Cynthia Fleury a publié un tract avec l’architecte Antoine Fenoglio : Ce qui ne peut nous être volé. Ils évoquent les éléments essentiels qu’on ne doit pas nous prendre, notamment l’accès à l’horizon, le droit au silence… C’est intéressant, car c’est précisément ce qu’on nous a volé dans les quartiers. L’écologie permet cette libération, de retrouver ces communs que l’on nous a pris. Sans le paradigme climatique, nous ne nous serions jamais posé les questions des espaces verts et de l’alimentation. La question climatique permet de traiter tous ces autres sujets. C’est malheureux de le dire ainsi, mais il faut trouver l’opportunité dans la tragédie. Il faut se dire que les plus précaires ont là une occasion de se réapproprier leur destin au travers des questions écologiques qui restent très vastes, mal perçues, mal expliquées dans les quartiers.
Vous évoquez Cynthia Fleury. Quelles autres personnalités vous inspirent, intellectuellement ou artistiquement ?
Artistiquement, j’aime le rap. J’apprécie des rappeurs pas assez reconnus, comme Zamdane, au rap très mélancolique, très triste. Au niveau proprement intellectuel, je m’intéresse à la pensée de l’historien des sciences, des techniques et de l’environnement Jean-Baptiste Fressoz et à celle de Vladimir Jankélévitch. Je suis inspiré par les musiques d’animés, l’univers du manga et celui de Miyazaki.
Un sujet qui vous tient à cœur et dont vous aimeriez parler ?
En ce moment je me pose la question de l’identification. J’ai l’impression d’identifier un paradoxe entre un mouvement climat qui se déclare ouvert à la diversité sociale par exemple, mais qui, de fait, refuse de voir qu’il crée les conditions de son propre éloignement avec les quartiers, pour ne citer que nous. L’ouverture, ça passe par des concessions notamment symboliques et culturelles. On n’a jamais eu besoin d’aide pour s’affirmer. Ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer. Avec la communauté Banlieues Climat, on va créer une génération climat à notre image.
Sinon, plus personnellement, à force d’enchaîner les tables rondes, je réalise que je me répète beaucoup auprès de personnes déjà convaincues, j’ai besoin de faire autre chose. En ce moment je suis à fond dans l’écriture, j’ai un peu testé le slam, mais là je prépare quelque chose de sérieux. Je veux faire kiffer les gens avec des textes engagés et je suis en train de monter une équipe, mais je le fais avant tout pour me soigner. Pour le reste, on verra.